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Pour une reconnaissance des signes éthiques : les formes de l’ethos et ses implications sociologiques

  • Simon Levesque ORCID logo EMAIL logo and Pascale Bédard
Published/Copyright: July 16, 2024

Résumé

Le concept d’ethos, que l’étymologie rattache à l’éthique, aux mœurs et à la morale, est ici examiné à l’intersection des études sémiotiques et des sciences sociales. Une méthode est développée pour l’étude des caractères, ou ethe, qui passe par la reconnaissance des signes éthiques sur les scènes d’énonciation considérées, elles-mêmes constitutives d’une situation sociale à analyser. L’article est divisé en trois parties. La première partie définit l’ethos selon ses deux usages dans la théorisation aristotélicienne (rhétorique et poétique). La deuxième partie définit les signes éthiques dans leur rapport théorique aux études sémiotiques et à la sociologie. La troisième partie présente une application à un cas contemporain à cette recherche : la controverse dans l’espace public autour d’un projet de développement du territoire dans la ville de Québec. En théorisant pour la première fois les signes éthiques, cet article propose un renouvellement de la sociologie compréhensive au moyen d’une méthodologie éprouvée.

Abstract

The concept of ethos, etymologically linked to ethics, mores and morals, is examined here at the intersection of semiotics and social sciences. A method is developed for the study of characters, or ethe, based on the recognition of ethical signs on the scenes of enunciation constitutive of a social situation to analyse. The article is divided into three sections. The first section defines ethos according to its two uses in the Aristotelian theory (rhetorical and poetical). The second section defines the ethical signs in their theoretical connection with semiotics and sociology. The third section presents an application to a contemporary case study: the controversy in the public sphere surrounding a land development project in Québec City. By theorizing ethical signs for the first time, this article proposes a renewal of comprehensive sociology by means of a proven methodology.

1 Introduction

Le concept d’ethos, que l’étymologie rattache à l’éthique, aux mœurs et à la morale, constitue une réelle occasion de dialogue interdisciplinaire. L’ethos est à penser comme une dimension de la présentation de soi des acteurs individuels et collectifs. Liant l’efficace d’un agir communicationnel à l’autorité et à la crédibilité de l’agent de cette communication, il se rapporte à la fois à la rhétorique, à la pragmatique et à la sociologie. Mais il a également une dimension sémiotique peu souvent prise en compte. En inscrivant notre démarche en études sémiotiques, nous voulons ancrer l’étude des caractères, ou ethe, dans l’analyse des signes qui les manifestent : les signes éthiques.

Le présent article a pour objectif de démontrer la validité et la pertinence de cette catégorie de signes pour l’étude des situations sociales complexes et controversées. À ce titre, un cas d’étude a été développé : les communications, débats et confrontations publiques rattachées au projet de développement d’une « zone d’innovation » dans la ville de Québec. Ce projet vise à intensifier l’usage d’un territoire jugé sous-exploité aux yeux de certains acteurs économiques et institutionnels, mais dont les friches et les aménagements existants, situées sur le littoral du fleuve Saint-Laurent, constituent pourtant des zones de peuplement pour des acteurs humains et non humains qui peinent à faire entendre leurs intérêts. Tandis que les tractations et manœuvres pour faire cheminer le projet, malgré l’opposition à laquelle celui-ci fait face, suivent le canevas habituel en vue d’atteindre une « acceptabilité sociale » (Maillé et Batellier 2017) suffisante au regard des institutions démocratiques et de l’opinion publique, notre étude montre qu’une opposition semble s’être installée entre un « ethos du développer » et un « ethos de l’habiter ». Ces deux logiques d’action, qui commandent des manières d’être contraires en ce qui a trait à l’appropriation et à l’usage du territoire, marquent un fossé communicationnel entre les groupes d’acteurs en présence. Mais c’est cet écart, justement, qui est signifiant.

Notre travail s’inscrit dans une démarche compréhensive en sciences sociales, qui remonte à Wilhelm Dilthey (voir Mesure 1990). En 1974, Mikhaïl Bakhtine a formulé quelques « Remarques sur l’épistémologie des sciences », dans lesquelles il reprend l’opposition devenue classique entre compréhension et explication dans les sciences. Selon lui, la compréhension est profondément dialogique, tandis que « les sciences exactes sont une forme de savoir monologique » (Bakhtine 1984 : 425). Le savoir monologique porte sur des choses muettes. Or, les sujets humains ne sauraient rester muets. En conséquence, la compréhension des dynamiques humaines et sociales est nécessairement dialogique. Autrement dit, elle procède selon la forme du dialogue, elle est le fruit de l’échange de paroles, elle est donc intrinsèquement intersubjective. Dans les sciences sociales, il n’est jamais question de faits bruts, mais d’interprétations. Cette vue, très nietzschéenne au demeurant, fonde la distinction entre explication et compréhension.

S’accorder au paradigme compréhensif ne signifie pas pour autant sombrer dans la subjectivité radicale et le relativisme absolu. Au contraire, les points de vue considérés s’efforceront d’être objectivés et surtout d’être sélectionnés pour leur exemplarité, leur typicité et la généralité (limitée) qu’ils permettent de mettre en lumière, de même que pour leur potentiel explicatif, car la compréhension peut aussi tendre vers l’explication, sans en faire sa visée ultime. Aux États-Unis, la sociologie compréhensive s’incarne surtout dans les courants (ou démarches méthodologiques) de l’interactionnisme symbolique et de l’ethnométhodologie. Le premier doit presque tout à George Herbert Mead, qui a développé sa psychologie sociale sous l’influence des travaux de Charles Sanders Peirce. La seconde, qui souvent prend la forme de l’analyse conversationnelle, s’est largement développée sous l’influence des travaux sur le langage ordinaire de Ludwig Wittgenstein. Pourtant, les notions de « sens partagé », de « sens négocié » et surtout d’« indexicalité » sont toutes plus ou moins peirciennes. Elles concernent une catégorie de signes que Peirce appelle « interprétants » et que Michael Silverstein, plus récemment, a reprise sous l’égide de la « métapragmatique » (voir Urban 2006).

La négociation du sens s’opère toujours en rapport à un jeu de valeurs auquel l’interprétation se réfère et qui situe le sujet interprétant socialement, historiquement et culturellement. En études sémiotiques, Charles Morris (principal disciple de Peirce) a bien compris l’inévitable immixtion entre sens et valeur dans la recherche en sciences humaines et sociales. Son livre Signification and Significance (Morris 1964) insiste sur l’importance de prendre en compte les processus de signification et d’interaction communicationnelle spécifiquement humains (anthroposémiose). De fait, signes et valeurs vont de pair ; ainsi la sémiotique et l’axiologie sont-elles indissociables (voir Petrilli 2014).

En déployant dans son amplitude maximale le concept d’ethos, et ce, tant du côté de la sociologie, en liant les pratiques et les logiques de l’action sociale, que du côté des études sémiotiques, en faisant des signes éthiques le matériau élémentaire de notre analyse, notre visée est double. D’une part, nous souhaitons raviver un concept ancien, l’ethos, pour en montrer la pertinence actuelle. D’autre part, nous voulons favoriser la reconnaissance de ses formes diverses et approfondir la compréhension de sens commun que nous en avons. Les ethe sont ici caractérisés comme des lieux communs et des interfaces axiologiques à partir desquels le sens est négocié dans l’interlocution. À un autre niveau, ils sont aussi un matériau d’analyse sociologique puissant permettant la mise au jour de logiques de reproduction sociale.

Cet article se structure en trois parties. Dans la première partie, nous rappelons brièvement les deux usages de l’ethos chez Aristote : rhétorique et poétique. Cet ancrage nous permet de conceptualiser l’ethos dans son rapport intrinsèque à la cité, comme vecteur de jugement moral et de formation éthique. Dans les deux cas, il existe une part de manipulation inhérente à la visée pragmatique de la (re)présentation de caractères devant un public à captiver ou à conquérir. Dans la deuxième partie, nous définissons pour la première fois le concept de signe éthique en conciliant diverses influences théoriques : Jürgen Habermas, Erving Goffman, Charles Peirce, Eliseo Verón et Michael Silverstein, principalement. Puis, nous recadrons l’usage de la notion d’ethos en sociologie en rappelant sa scalabilité : dans le passage de l’individuel au collectif, la capacité d’analyse du sens de l’action se maintient, dans la mesure où l’agir communicationnel est nécessairement indexé à des systèmes de représentations et de valeurs partagés. Enfin, dans la troisième partie, nous procédons à l’analyse du cas d’étude annoncé et montrons par le fait même l’opérationnalité du cadre théorique défendu.

2 Les deux usages de l’ethos d’après Aristote : rhétorique et poétique

2.1 L’ethos dans la (re)présentation de soi : usage rhétorique

Aristote fait de l’ethos un des trois aspects fondamentaux de la rhétorique, avec le logos et le pathos. Nous ne nous attarderons pas à ces deux derniers aspects, mais tâcherons de nous concentrer uniquement sur le premier.

L’ethos se rapporte au locuteur et concerne l’image qu’il projette de sa personne, laquelle influence la réception de son discours. Qu’une telle image discursive puisse avoir une influence dans la situation énonciative, et des conséquences sociales du fait de sa réception, repose sur le principe de la performativité langagière (Austin 1991 [1962] ; Searle 1982 [1979]). L’idée de persuasion résume cette conséquence possible dans l’interlocution. Ainsi que l’écrit Oswald Ducrot,

… un des secrets de la persuasion telle qu’elle est analysée depuis Aristote est, pour l’orateur, de donner de lui-même une image favorable, image qui séduira l’auditeur et captera sa bienveillance. Cette image de l’orateur, désignée comme èthos ou « caractère », est encore appelée quelquefois – l’expression est bizarre mais significative – « mœurs oratoires ». Il faut entendre par là les mœurs que l’orateur s’attribue à lui-même par la façon dont il exerce son activité oratoire. Il ne s’agit pas d’affirmations flatteuses qu’il peut faire sur sa propre personne dans le contenu de son discours, affirmations qui risquent au contraire de heurter l’auditeur, mais de l’apparence que lui confèrent le débit, l’intonation, chaleureuse ou sévère, le choix des mots, des arguments … c’est en tant qu’il est source de l’énonciation qu[e le locuteur] se voit affublé de certains caractères qui, par contrecoup, rendent cette énonciation acceptable ou rebutante. (Ducrot 1984 : 199–200)

Un ethos, des ethe, sont exprimés par un individu s’adressant à ses semblables. Dans les contextes du discours politique ou juridique (auxquels se rapporte en premier lieu le traité de rhétorique aristotélicien), l’ethos permet à l’orateur de valoriser sa personne de sorte que son discours convainque mieux ; l’idée étant de faire reposer en partie ses arguments sur l’autorité de son caractère.

L’ethos personnifie (caractérise) le discours et le situe en dirigeant l’attention vers son énonciateur, à savoir un individu connu au sein de la cité, ayant une situation, une réputation, un passé qui compte peut-être des exploits ou de hauts faits, etc. Or l’orateur peut aussi bien être inconnu de la cité. Alors l’ethos acquiert une importance encore plus grande, car dans ce cas l’orateur doit, par son discours, se faire connaître à l’auditoire, c’est-à-dire montrer quel est son caractère (les qualités de son âme).

L’image qu’il donne de lui, l’orateur la produit par le discours et son énonciation ; il montre quelle est sa personnalité à travers la façon qu’il a de s’exprimer (Rhétorique : 1356b). Ainsi le concept d’ethos appartient à la sphère du langage en acte et lui est immanent. L’ethos surgit dans l’énonciation en vertu d’un rapport indexical au locuteur : l’attention dirigée vers l’orateur permet d’apprécier les qualités oratoires – intonation, débit, arrangement de l’argumentaire, etc. – que présente son discours, de sorte que l’ethos opère sous les modes de l’apparence et de l’adéquation, car l’orateur paraîtra tel ou tel et il inspirera confiance ou non à ceux qui l’écoutent selon qu’il semble effectivement posséder les qualités qu’il présente (Rhétorique : 1366a, 1378a).

La performativité persuasive de l’ethos repose donc essentiellement sur la vraisemblance du rapport indexical qu’elle installe entre le discours (ses qualités) et celui qui le prononce. Évidemment, pour que cette vraisemblance soit perçue, fait valoir Aristote, il faut que l’énonciateur possède effectivement les qualités éthiques de la vertu (arété), de la bienveillance (ou douceur, aménité ; praos) et de la prudence (ou tolérance, sagacité ; phronesis) valorisées par l’institution de l’art oratoire (et l’éthique de manière générale ; voir Guigues 2017 : 13–15). La notion de disposition (hexis) s’avère cruciale à cet égard : on dit de l’âme d’un orateur qu’elle présente telle ou telle disposition pour tel ou tel caractère (vertueux ou vicieux) suivant la manière qu’a cet orateur de se présenter à autrui. Ainsi l’ethos apparaît-il comme une donnée morale nécessaire émanant du rapport de comparution sociale.

Les caractères sont généraux, c’est-à-dire que le statut ontologique des ethe est la généralité. Les caractères sont conçus comme des objectivités que la production discursive peut désigner : ils constituent des lieux familiers (des topoï d’un genre particulier) que l’énonciateur mobilise. Autrement dit, un orateur ne possède proprement aucun caractère : ce sont des attributs qu’il s’efforce de rattacher à sa personne dans la présentation qu’il fait de soi par le biais de son discours. De ce point de vue, les ethe revêtent une dimension iconique fondamentale : ce sont des sortes d’images que les locuteurs accolent à leur personne en vertu d’un rapport mimétique, de similarité ou d’incarnation.

Dans sa Rhétorique, Aristote présente une analyse des caractères humains en fonction des âges de la vie (jeunesse, maturité, vieillesse) et des conditions de fortune (noblesse, richesse, pouvoir et bonheur). Frédérique Woerther remarque que la notion d’ethos « semble être le fruit d’une resystématisation de la rhétorique traditionnelle, et notamment de la doctrine de l’eikos (vraisemblance) » (Woerther 2005 : 104). Pour comprendre cette idée, il faut préciser qu’Aristote distingue trois types de signes mobilisés dans le discours : le tekmérion (indice sûr), l’eikos (indice vraisemblable) et le séméion (signe ambigu, polysémique). Le signe éthique – qui indique l’ethos – appartient au régime du vraisemblable puisqu’il agit cognitivement comme une induction imparfaite qu’opèrent les auditeurs à l’égard du discours qui leur est délivré. Un caractère est reconnaissable car il est général : il est aisément inféré sur la base de la vraisemblance qu’impose le sens commun et l’expérience.

L’inventaire relativement chaotique et non exhaustif qu’Aristote réalise [au chapitre 2 de la Rhétorique] des différents traits de caractère n’est pas mené selon un mode que l’on pourrait qualifier de « scientifique » : loin de chercher à démontrer la présence ou l’absence de certains caractères chez tel ou tel type de personne, il présente, sous la forme d’un catalogue, des idées générales sur la psychologie, « qui reposent sur le jugement que se font les hommes par expérience et induction imparfaites ». (Woerther 2005 : 104 ; l’autrice cite Barthes 1970 : 204)

En clair, les auditeurs sondent les qualités que s’attribue l’orateur afin de déterminer si celles-ci sont effectivement des attributs de son âme. Pour ce faire, ils interprètent les indices qui sont mis à leur disposition par la performance de l’orateur, et leur jugement s’opérera selon que ces signes sont plus ou moins sûrs ou ambigus (selon l’information disponible d’autre part, contextuellement). Ce travail interprétatif, qui repose sur le sens commun (doxa) et le bénéfice du doute (épieikeia), correspond à un type de raisonnement que Charles Peirce appelle l’abduction : une hypothèse est émise pour apaiser le doute et stabiliser l’interprétation, qui sera valable jusqu’à preuve du contraire (voir Levesque 2015). L’image du locuteur est ainsi coconstruite par le discours et sa réception, et ce, par l’intermédiaire de caractères qui servent de lieux communs auxquels les agents de la communication – les interlocuteurs – peuvent se référer communément[1].

2.2 L’ethos dans la représentation mimétique : usage poétique

À côté de cette première définition de l’ethos que fournit Aristote, il y en a une autre, un peu plus compliquée que la première. Il existe en effet deux classes de représentations distinctes liée à l’ethos, ou plus exactement deux types d’activités mimétiques liées aux caractères, car la présentation de soi est déjà une mise en représentation des qualités que s’attribue un orateur.

D’une part, la représentation indexée à la praxis, c’est-à-dire l’art oratoire aux visées éthiques et politiques, et la représentation indexée à l’épistémè, c’est-à-dire la figuration aux fins de la démonstration, forment une première classe. Cette première classe ressortit à l’usage rhétorique de l’ethos. D’autre part, la seconde classe est formée des représentations indexées à la poïèsis, qui créent des objets (ou des « mimèmes » d’objets) utiles à la cité du fait qu’on puisse en jouir (la polis est pour Aristote le lieu de la jouissance et de l’usage). Cette seconde classe ressortit à l’usage poétique de l’ethos, c’est-à-dire à la mise en scène d’ethe (ou de caractères) dans le cadre spécifique de la tragédie. On pourrait étendre cette seconde classe aujourd’hui à toute production médiatique artistique figurative mettant en scène des personnages, présentant forcément des caractères (à ce propos, voir Carnevali 2009, 2010).

Tel qu’il est donné à voir dans la poésie, l’ethos (compris comme une qualité de l’âme) est une instanciation d’un modèle paradigmatique qu’incarne un personnage occurrent par ses paroles et ses gestes, par lesquels on connaît ses décisions à l’égard de la contingence angoissante (tyché). Cette instanciation, ou incarnation de qualités morales objectives (ethe), n’est rendue possible qu’à l’intérieur d’une mise en intrigue (mythos) nouant des situations face auxquelles le personnage devra faire des choix, lesquels révéleront avec plus ou moins de succès l’exemplarité de son caractère, c’est-à-dire sa valeur morale :

C’est la fable qui est l’imitation de l’action, car j’appelle ici « fable » l’assemblage des actions accomplies ; j’appelle « caractère » ce qui nous fait dire des personnages que nous voyons agir qu’ils ont telle ou telle qualités ; j’entends par « pensée » tout ce que les personnages disent pour démontrer quelque chose ou déclarer ce qu’ils décident. (Poétique : 1450a)

Face à la tyché, l’action du héros peut être exemplaire ou délétère : dans tous les cas, elle a pour résultat exodiégétique de produire un effet cathartique par lequel opère la purification de l’âme des spectateurs, et par extension de la cité. La catharsis est utile puisqu’elle « soigne » le corps social en suscitant « une exaspération, suivie d’un soulagement, de la tension excessive » (Beck 1996 : 21) imputable aux passions que le spectacle donne à ressentir à travers l’identification des spectateurs aux actions mimées (et aux caractères que l’action met en relation) – d’où l’idée de jouissance évoquée précédemment. Les passions véritables dont sont affectés, ou dont pourraient être affectés, les spectateurs seraient ainsi apaisées ou « guéries ». La catharsis est plaisante (on peut en jouir), car elle émeut.

Parce qu’il repose sur des figures intermédiaires, c’est-à-dire des métaphores verbales, l’ethos mis en jeu par l’art mimétique (le mimème éthique) est de nature symbolique, mais l’effectivité de sa communication est régie par sa capacité à diriger l’expérience (compétence indexicale). Dans tous les cas, qu’ils se rapportent à l’une ou l’autre classe, c’est-à-dire qu’ils relèvent de l’usage rhétorique ou de l’usage poétique, les ethe (caractères) correspondent à des généralités, ou des lieux communs, qui procurent sa vraisemblance (son authenticité, son autorité) et son efficace (sa performativité sociale) au discours.

Les ethe sont des modèles axiologiques mis à la disposition des auditeurs, spectateurs ou interlocuteurs pour opérer un jugement pragmatique portant spécifiquement sur les qualités éthiques ou morales de l’orateur. En reconnaissant de tels indices énonciatifs, qui ressortissent à la communication dans sa dimension sociale et que nous nous proposons de nommer signes éthiques, une connaissance spécifique émerge qui concerne l’agir communicationnel dans sa dimension morale.

3 L’ethos à l’échelle collective

3.1 Signes éthiques

L’étude d’ethos est une manière d’approcher l’agir communicationnel, individuel et collectif[2], dans son rapport aux valeurs, dans la mesure où l’ethos traduit et trahit le positionnement axiologique des acteurs-locuteurs et des groupes. Pour les acteurs en situation d’interlocution, il apparaît essentiel de recueillir de l’information sur autrui, car la communication est une pratique qui requiert un ajustement de tous les instants, et ce, non seulement pour que les acteurs se comprennent effectivement, mais encore pour que ceux-ci parviennent à leurs fins – car si l’on exclut les situations de bavardage en pure perte (et encore), il faut bien reconnaître que la communication a toujours un but, implicite ou explicite, qui entérine la dimension performative du langage : faire soi-même ou faire faire quelque chose à autrui. C’est pourquoi l’agir communicationnel peut et doit être compris comme un vecteur de socialisation (Habermas 1987 [1981] : 344).

Le jugement qui survient dans la communication et qui porte spécifiquement sur les conditions de production d’un acte langagier à partir des signes éthiques, qui sont le coproduit de cet acte, nous l’appelons jugement éthique puisqu’il se rapporte à l’ethos. Nous voudrions montrer comment ce jugement opère par attribution d’ethos (Korthals Altes 2014), c’est-à-dire au moyen d’une reconnaissance d’expression de caractères objectifs mobilisés dans la communication[3]. Dans La mise en scène de la vie quotidienne, Erving Goffman entrevoit bien cette nécessité pratique du jugement :

Lorsqu’un individu est mis en présence d’autres personnes, celles-ci cherchent à obtenir des informations à son sujet ou bien mobilisent les informations dont elles disposent déjà. Elles s’inquiètent de son statut socio-économique, de l’idée qu’il se fait de lui-même, de ses dispositions à leur égard, de sa compétence, de son honnêteté, etc. Cette information n’est pas recherchée seulement pour elle-même, mais aussi pour des raisons très pratiques : elle contribue à définir la situation, permettant aux autres de prévoir ce que leur partenaire attend d’eux et corrélativement ce qu’ils peuvent en attendre. Ainsi informés, ils savent comment agir de façon à obtenir la réponse désirée. (Goffman 1973 : 11)

La présentation de soi de l’acteur, son ethos, s’interprète en fonction des caractères mobilisés dans la communication. Cette mobilisation peut s’entendre comme un investissement signifiant à double sens. D’une part, le locuteur exprime ou manifeste tel ou tel caractère(s), telle ou telle manière(s) d’être et de penser, et ce, pour diverses raisons plus ou moins conscientes à son esprit ; son agir communicationnel en est teinté. D’autre part, l’interlocuteur prête au locuteur, ou perçoit chez lui, tel ou tel caractère(s) ; il lui reconnaît telle ou telle manière(s) d’être et principes, ou logiques d’action, en fonction des repères, des connaissances et de l’expérience qui sont les siens, et cela informe son interprétation de l’agir communicationnel du locuteur. Dans les deux cas, un interprétant est suscité, qui informe la pratique afin de la rendre efficace (d’un point de vue pragmatiste, un signe n’a de sens qu’en vertu des effets pratiques qu’il engendre dans le monde, voir Peirce 1879 [1878] ; sur l’interprétant peircien, voir Thibaud 1983).

La présentation de soi de l’acteur s’interprète aussi en fonction de la scène sur laquelle a lieu l’interaction. Par scène, on entend le lieu physique où se déploie l’interaction, avec les éléments que Goffman rapporte au « décor ». Ce sont des éléments que l’on est d’emblée enclin à considérer comme géographiquement stables. Or Goffman précise bien que, dans certaines circonstances, « le décor se déplace avec les acteurs » et qu’alors celui-ci leur offre « en quelque sorte un surcroît de protection » (Goffman 1973 : 29). Au-delà des matériaux scéniques concrets, la réflexion goffmanienne sur le décor nous amène à considérer les cadres institutionnels (et les signes qui les installent) comme autant d’éléments de « décor » avec lesquels certains acteurs se déplacent et sans lesquels ils seraient plus vulnérables.

La scène ici conceptualisée se comprend aussi à l’aune du concept de scène d’énonciation défendu par Dominique Maingueneau. Pour ce dernier, la scène d’énonciation signale la présence d’un cadre pragmatique dans lequel se déploie la situation d’énonciation. À ce premier concept, il en adjoint un autre : celui de scénographie. La scénographie ne désigne pas seulement un cadre ou un décor préexistant à l’énonciation ; elle désigne plutôt la manière dont l’énonciation participe à installer graduellement son propre cadre (Maingueneau 2014 : 151–152). Ainsi la scène où se joue la communication peut-elle être comprise comme le résultat d’une coconstruction par les différents acteurs impliqués dans l’interaction, à condition de ne pas s’aveugler sur la distribution souvent inégale des rôles et des parts dans cette coconstruction. Autrement dit, il ne faut pas sombrer dans ce que Pierre Bourdieu a appelé l’illusion du communisme linguistique (Bourdieu 2001), c’est-à-dire « l’idée selon laquelle toutes les compétences et les ressources sociales et intellectuelles permettant de faire n’importe quel usage du langage sont également distribuée » (Ambroise 2009 : 82). La domination d’un acteur sur un autre (en raison de sa prestance impressionnante ou parce qu’il se trouve en situation de subordination légale, matérielle ou organisationnelle) aura des incidences sur le cadre et ses effets.

Lorsque des interlocuteurs se retrouvent en coprésence sur une scène donnée, le jugement moral – qu’on peut aussi appeler évaluation axiologique et qui opère par attribution d’ethos – constitue une dimension inévitable du travail social de production de sens. Mais avec John Dewey, nous concevons cette évaluation comme ayant « essentiellement trait à une propriété relationnelle des objets » (Dewey 2011 : 74). En fait, ce qui fait l’objet de l’évaluation, ce n’est pas le locuteur lui-même, mais précisément les figures intermédiaires qu’il présente à autrui (savamment ou candidement), à savoir les caractères qu’il exprime dans sa présentation de soi.

Eu égard à la pluralité des formes d’inscription du sens au sein des pratiques sociales, l’axiologie constitue un système d’alignement des caractères, tout comme l’idéologie constitue un système d’alignement des idées : l’une et l’autre forment des strates de coordination et de conformation pour orienter, fonder et justifier l’agir communicationnel, c’est-à-dire l’activité signifiante en société. Bien que cet agir soit normalement orienté vers l’intercompréhension et le succès, il demeure irréductible à la raison (sur l’agir communicationnel, voir Habermas 1987 [1981] ; Robichaud 2015 : ch. 2). Ainsi, il importe de prendre en considération à la fois la part irréfléchie de l’agir social, et donc de la présentation de soi, et les biais de justification ex post permettant aux acteurs de neutraliser moralement leurs actions, avec les récits de soi compensateurs que cela suppose (sur l’irréflexion dans l’agir, voir Di Nucci 2014 ; sur la dissonance postdécisionnelle, voir Lind et al. 2017). Autrement dit, s’il est aisé de concevoir qu’un acteur « mène une représentation face à un public et adopte des expressions, en vue de contrôler les impressions de [son] public » (Nizet et Rigaux 2005 : 19), ce même « acteur peut [aussi] être complètement pris par son propre jeu » (Goffman 1973 : 25). On peut y voir une forme d’automanipulation inhérente à l’usage des signes dans un paradigme pragmatiste fondé, d’après Peirce, dans la croyance nécessaire à l’action ; influencer autrui implique souvent de s’être d’abord convaincu soi-même. Mais la question est moins celle de la sincérité du « jeu » que des effets réels occasionnés par l’adhésion de l’acteur à son propre rôle :

Du contrôle des impressions à la manipulation, il n’y a qu’un pas qui est parfois franchi, l’acteur définissant délibérément, selon son intérêt, l’image qu’il veut donner de lui et de son activité, dans une posture qu’on peut qualifier de cynique ; à l’autre extrémité, l’acteur peut être pris à son propre jeu, lui-même dupe de la représentation qu’il donne. (Nizet et Rigaux 2005 : 22)

Un passage de La présentation de soi mérite d’être repris ici, car il concerne directement la moralité (ou l’amoralité) de la part de manipulation inhérente à l’expression de caractères à des fins sociales plus ou moins explicitement déterminées :

… dans la mesure où ce sont des acteurs, ce qui préoccupent les individus, c’est moins la question morale de l’actualisation de ces normes [sociales, qui sont des repères pour le jugement moral] que la question amorale de la mise au point d’une impression propre à faire croire qu’ils sont en train d’actualiser ces normes. Leur activité soulève donc bien des questions morales, mais en tant qu’acteurs ils ne s’y intéressent pas d’un point de vue moral : ils sont, sous ce rapport, des boutiquiers de la moralité. (Goffman 1973 : 237)

Pour Eliseo Verón, l’idéologie « concerne des systèmes d’opérations d’investissement du sens dans les matières signifiantes » (Verón 1973 : 54), et cet investissement constitue toujours un travail social. Pareillement, nous pensons que l’axiologie concerne des systèmes d’opérations d’investissement du sens dans les matières signifiantes, et qu’une des matières de prédilection de cet investissement est le corps humain en tant qu’il est le support de pratiques sémiotiques (discursives, gestuelles, pathémiques, etc.) matérielles situées. La présentation de soi peut ainsi être définie comme un travail social de manipulation de signes éthiques, et cette manipulation est pour partie consentie et stratégique, et pour partie subie et socialement déterminée. La matière investie sémiotiquement à la fois est travaillée et travaille. L’ethos qu’exprime un acteur n’est ni plus ni moins que la somme des figures intermédiaires que sont les caractères rassemblés en un même lieu, en une même persona (Mauss 1938 : 277).

Pour Verón, « décrire le travail social d’investissement de sens dans des matières signifiantes consiste à analyser des opérations discursives d’investissement de sens » (Verón 1978 : 9). Cependant, cette analyse requiert la prise en compte de deux ensembles signifiants distincts, mais médiés par un même signe (ou un même système de signes), qui forment deux pôles pour la communication. D’une part, la production ; de l’autre, la reconnaissance. Chacun de ces ensembles peut être rapporté à une série de conditions matérielles et symboliques déterminantes. Entre les deux, l’objet intermédiaire – le signe – circule ; il marque une différence irréductible d’où, précisément, émerge le sens, dont on peut retracer, rétrospectivement, le travail social. Comme l’explique Verón,

les conditions de production d’un ensemble signifiant ne sont jamais les mêmes que les conditions de reconnaissance. L’écart entre production et reconnaissance est extrêmement variable, selon le niveau du fonctionnement de la production de sens où l’on se place et selon le type d’ensemble signifiant que l’on étudie. En tout cas, nous avons toujours affaire à deux types de « grammaires » : « grammaires » de production et « grammaires » de reconnaissance. Par contre, il n’y a pas, à proprement parler, de traces de la circulation : l’aspect circulation ne peut être rendu « visible » dans l’analyse que comme écart, précisément, entre les deux ensembles de traces, celles de la production et celles de la reconnaissance. Le concept de circulation n’est en fait que le nom de cet écart. (Verón 1978 : 10)

Nous voudrions décrire les ethe comme des objets sémiotiques en circulation. Ils sont faits des caractères qui les composent, c’est-à-dire d’un nombre indéfini de figures intermédiaires objectives (observables), qui prennent sens contextuellement, sur des scènes énonciatives diverses, du fait qu’elles sont nécessairement indexées à des régimes de valeurs qui orientent, fondent et justifient l’agir communicationnel par lequel elles sont médiées. La matière de prédilection de l’analyse d’ethos, ce sont les signes éthiques, c’est-à-dire des indices présents en situation d’interlocution qui pointent vers la constitution objective d’interfaces axiologiques, ou ethe.

Chez Peirce, un signe indexical (ou indiciel) est un signe qui connecte le représentamen (le signe tel qu’il se présente à l’entendement) et son objet dans un rapport de contiguïté ou de causalité. En s’appuyant sur les travaux de Peirce, mais aussi de Roman Jakobson, Michael Silverstein a développé le concept d’indexicalité dans une perspective sociolinguistique, et son influence sur l’anthropologie sémiotique contemporaine est immense. Selon Silverstein, l’indexicalité désigne le rapport qui unit un acteur et la socialité en tant que cet acteur manifeste des signes (verbaux, comportementaux, éthiques) qui le rapportent à cette socialité dans une sorte de rapport type-token, ou type-occurrence, où le type est une généralité macrosociale, et l’occurrence, l’effet matériel ou actuel de cette généralité manifeste à l’échelle microsociale : « l’“ordre indexical” est un concept nécessaire afin de montrer comment les cadres d’analyse microsociaux et macrosociaux entrant dans l’analyse de tout phénomène sociolinguistique se rapportent l’un à l’autre » (Silverstein 2003 : 193, trad. libre). Dans la perspective ethnopragmatique défendue par Silverstein, l’effet créatif de l’indexicalité (tel qu’il peut être observé à partir des signes émis, produits, ou pouvant être rattachés à un acteur) est la réalisation (ou performance) motivée d’un cadre de valeur sémiotique préexistant (imaginaire social, idéologie, etc.) :

Cet effet créatif indexical est la réalisation motivée, ou l’exécution performable, d’un cadre de valeur sémiotique déjà constitué. … tout fait linguistique, c’est-à-dire sociolinguistique, est nécessairement un fait indexical : les signes-en-usage, qu’ils soient de nature linguistique ou autre, pointent de diverses manières vers des contextes d’occurrence structurés pour les usagers des signes. (Silverstein 2003 : 194–195, trad. libre)

L’ethnométhodologie de Harold Garfinkel valorise elle aussi une forme d’« éthique radicale de l’indexicalité », pour reprendre l’expression de Nicolas Dodier, qui explique :

D’un certain point de vue, l’indexicalité est, assez simplement, une propriété générale de nos activités : la manière dont nous manifestons le caractère ordonné de nos pratiques est ancrée dans des circonstances éminemment locales, et ce que nous manifestons ainsi n’est intelligible pour autrui que moyennant la mobilisation, hic et nunc, de notre part, des ressources ad hoc fournies par le moment présent, à nul autre strictement pareil. Mais l’ethnométhodologie va plus loin. Elle met cette indexicalité au cœur d’un impératif : c’est, de son point de vue, une exigence première de la sociologie que d’étudier, en toutes circonstances, le caractère indexical de nos activités, quelles qu’elles soient. On n’a pas seulement à noter et à avoir en tête cette propriété d’indexicalité, il convient d’en témoigner sans cesse. (Dodier 2001 : 318)

Sans chercher à nous conformer ni à l’approche sociolinguistique ni à l’ethnométhodologie, nous voulons montrer comment l’ethos constitue le lieu d’expression d’un rapport indexical entre le sujet et les dynamiques macrosociales qui pétrissent son agir communicationnel. L’étude de cas développée ici montrera, surtout, comment l’idée de signe éthique ne peut être comprise en dehors d’un réel dialogue interdisciplinaire nouant les études sémiotiques aux sciences sociales.

3.2 L’ethos en sociologie

L’usage de la notion d’ethos en sciences sociales est, bien que relativement marginal, néanmoins usité (voir Baumlin et Meyer 2018). Dans la perspective que nous souhaitons développer ici, l’ethos, et les signes éthiques qui en permettent la mise au jour, se présentent comme des médiations, des points d’articulation entre le discursif et le pratique : ni pur produit du langage, ni réalité a priori simplement reflétée dans le langage. Dans cette logique d’exploration, il devient alors possible de tenir compte de la nature indicielle de l’ethos, tout en considérant l’enjeu stratégique, au cœur de l’agir communicationnel, qu’il constitue. Deux orientations de la sociologie proposent un apport transdisciplinaire productif. D’une part, la sociologie peut contribuer à éclairer l’ancrage social de l’ethos rhétorique et, d’autre part, elle peut mobiliser l’ethos à titre de concept opératoire efficace pour saisir et nommer l’articulation entre les pratiques et les significations, choisies ou intériorisées : représentations, valeurs et idéaux, topoï ou caractères.

En demeurant dans la perspective rhétorique, on considère l’ethos en rapport à l’image de lui-même que projette un sujet à l’occasion du discours, ou de la performance discursive, permettant à son interlocuteur d’évaluer, notamment, la validité ou l’honnêteté de son propos. Le raisonnement sociologique, particulièrement dans ses approches compréhensives, participe à éclairer cette interaction déterminante dans la construction de l’ethos, en révélant certains processus sociaux, comme les dynamiques de reconnaissance, les inégalités de légitimité entre les interlocuteurs, ou d’autres effets de pouvoir.

Du point de vue du sociologue …, par exemple, l’ethos ne peut plus être défini comme un phénomène discursif, mais se qualifie plutôt comme une entité sociale dont l’efficace tient au statut externe dont jouit l’orateur …, qui ne dépend pas intrinsèquement du discours mais dérive plutôt sa force de la position sociale de l’orateur, comme l’a noté Bourdieu (1980) … (Albalat-Mascarell et Carrió-Pastor 2019 : 88, trad. libre)

De même, la perspective sociologique sur l’ethos favorise la compréhension des facteurs sociaux, culturels ou idéologiques du dialogue, qui contribuent à produire le répertoire des lieux communs auxquels se réfèrent les acteurs dans cette interaction.

Si l’ethos rhétorique se déploie dans l’ordre du discours et concerne un locuteur individuel, la sociologie a également mobilisé la notion d’ethos dans une perspective collective. De façon pas toujours systématisée, le concept d’ethos tire alors sa puissance de la référence aux caractères, ici généralisés à des collectivités. Déjà, Aristote ouvrait cette avenue avec les ethe reliés aux âges de la vie ou aux groupes sociaux, mentionnés précédemment.

Cette approche éclot particulièrement avec Max Weber qui, dans L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme (Weber 2017 [1905]), montre comment les référents axiologiques issus du calvinisme permettent, alors qu’ils se répandent dans la population générale, l’avènement d’une nouvelle éthique du travail, de la rationalisation de la production et de l’accumulation. Weber s’est également attardé à l’ethos du savant (Weber 1959 [1919]), rapprochant le concept de celui du devoir et de la vocation, c’est-à-dire de l’appel éthique profondément ancré dans une normativité à la fois individuelle, intériorisée, mais également sociale ou correspondante à des attentes sociales.

La portée de l’ethos, comme le suggère Weber, permet d’ouvrir la question des valeurs à des « acteurs collectifs » : l’ethos puritain chez Weber, tout comme l’ethos de la science chez Robert Merton (1973 [1957]), révèlent cet espace où les valeurs partagées par un groupe de personnes plus ou moins formalisé collaborent à produire, dans l’action et le discours, un ethos collectif. « Qui est ce locuteur collectif ? Il définit d’entrée de jeu sa nature profonde par l’emploi du verbe être : “Nous sommes” suivi d’un attribut : “des pauvres.” Il projette ainsi une image où se combinent la référence à une situation socio-économique et l’évocation d’un groupe égalisé et unifié par une indigence qui l’oppose à la catégorie des possédants », écrit Amossy (2021 : 38). Ainsi, l’ethos peut devenir une catégorie d’analyse sociologique du sens de l’action, permettant de nommer cette dimension de l’être au monde connectée aux représentations, aux valeurs et aux référents culturels partagés, que ces dispositions concernent un individu ou un collectif (Bédard 2016 : 261). Cependant, même dans le cas d’individus aux idiosyncrasies irréductibles, l’usage de la notion d’ethos n’a de sens qu’en relation au collectif, voire à la culture.

Kerbrat-Orecchioni fait directement le lien avec les « valeurs intériorisées », et c’est effectivement cette dimension axiologique que semble précisément éclairer l’approche par l’ethos : « certaines qualités abstraites des sujets sociaux … se manifestent concrètement dans leurs comportements discursifs en particulier » (Kerbrat-Orecchioni 2002 : 43). Facilitée par l’opérationnalisation du concept d’ethos, l’attention portée à cette dimension du discours, que manifestent les signes éthiques, permet de faire émerger le registre des valeurs, de la morale, de l’idéal de soi porté par le locuteur, non pas d’une manière désincarnée, mais dans une interaction toujours particulière, située, concrète. Cet angle permet aussi de prendre en considération, dans l’analyse, l’influence du contexte ou de la scène d’énonciation, qui joue un rôle majeur dans la transmission du message et fait apparaître une autre face de la validité du discours : qui est le « public » visé ; à qui s’adresse la démonstration de validité ? Ainsi, dans la controverse publique décrite et analysée ci-après, on constate que les acteurs-locuteurs ne parlent pas toujours sur la même « scène ». Ils discourent parfois sur une « scène manifeste », et d’autres fois dans les « coulisses ».

4 Proposition empirique : une controverse dans l’espace public au prisme des signes éthiques

4.1 Le développement de la zone d’innovation InnoVitam : le contexte de l’observation des signes éthiques

La controverse publique sur laquelle nous dirons quelques mots, afin d’offrir un exemple d’usage heuristique de la notion d’ethos en sociologie, se déroule dans une municipalité de taille moyenne d’Amérique du Nord, la Ville de Québec. L’histoire sociale et économique de la région a laissé sur le territoire la trace d’une agglomération étendue de quartiers souvent disparates, entrecoupée de secteurs industriels, d’un réseau autoroutier envahissant et d’espaces consacrés à d’énormes magasins. Depuis les années 1960, on tente de « moderniser » cette ville par de grands projets urbanistiques qui ont contribué à rompre les liens physiques au territoire naturel et à obstruer la circulation à l’échelle de l’agglomération. La ville de Québec étant située sur la rive nord du fleuve Saint-Laurent, l’accès à celui-ci pour les citoyens est un enjeu, à l’heure où le littoral est accaparé par des entreprises portuaires polluantes, des autoroutes, et des stations de plein-air tarifées.

Le projet de développement sur lequel se penche cette étude de cas cherche à se déployer dans deux quartiers contigus du littoral, Maizerets et Vieux-Moulin, traditionnellement plutôt modestes et ouvriers. Malgré ses autoroutes et ses friches post-industrielles, il s’agit d’un secteur encore célébré pour sa biodiversité unique : de multiples espèces endémiques y prospèrent dans les interstices du développement, notamment le harfang des neiges.

Le projet de zone d’innovation InnoVitam concerne une quinzaine de terrains vacants assez grands pour accueillir des projets industriels, répartis dans ces deux quartiers : anciens dépôts à neige, terrains vagues, entrepôts désaffectés. La Ville a acquis les terrains afin de pouvoir les utiliser ou les revendre éventuellement. Elle souhaite profiter de cette conjoncture pour toucher d’importants fonds publics réservés au développement de zones d’innovation [16][4], en partenariat avec d’autres promoteurs du projet : l’Université Laval, qui y voit des opportunités diverses, et l’agence Québec International, influente dans le milieu des affaires et dont la mission est de « soutenir le développement économique de la région de Québec et son rayonnement national et international » [23]. Pour l’heure, aucun de ces terrains n’a encore été vendu ; il s’agit de savoir ce que la Ville en fera.

Il n’est sans doute pas inutile de mentionner ici que les « zones d’innovation », ou leurs équivalents sous d’autre appellations, constituent un dispositif d’occupation du territoire qui s’insère dans la logique du capitalisme algorithmique en tant que vecteur adapté aux sociétés postindustrielles (voir Martineau et Durand Folco 2023 ; Parisi 2016).

À Québec comme ailleurs, la planification de ces zones d’innovation produit des frictions sociales qui se déploient sur plusieurs scènes. En cohérence avec le cadrage théorique développé plus haut, et dans le but de soutenir son potentiel analytique, nous procéderons au relevé de certains signes éthiques observables sur ces scènes, afin d’éclairer la controverse publique sous l’angle de l’ethos. L’objectif, sociologiquement, est de comprendre comment une telle controverse s’articule à l’arrière-champ axiologique de l’action sociale. Sur le plan sémiotique, l’étude proposée des signes éthiques doit mettre au jour l’écart signifiant qui ne peut manquer d’exister entre les conditions de reconnaissance et les conditions de production avérées ou présumées de ces signes, auquel l’attribution d’ethos donne lieu et qui constitue un interprétant de la situation sociologique.

Dans le cas de la conversation publique autour d’InnoVitam, les différentes scènes d’énonciation observables correspondent à ce qui est attendu face à un tel enjeu public : l’espace médiatique, la communication écrite produite par les promoteurs du projet, les rencontres de consultation publiques organisées par les pouvoirs locaux et les événements relatifs au projet. Nous verrons en fin d’analyse comment se jouxtent, à ces scènes manifestes, des coulisses plus ombragées, qui semblent pourtant déterminantes pour les opérations d’attribution d’ethos réalisées par les acteurs.

4.2 Scènes manifestes de la controverse : médias, communications et rencontres publiques

L’espace médiatique constitue une première scène d’observation[5], sur laquelle deux types d’énonciations se partagent les discours : le journaliste rapporte quelques faits, puis des propos d’intervenants du dossier sont cités, politiciens, citoyens ou, très rarement, gens d’affaires. Ces citations abordent les caractéristiques, les problèmes ou les qualités du projet de zone d’innovation, mais sur des plans très différents.

De manière cohérente au fil des interventions, les citoyens cités, la plupart du temps reliés au Conseil de quartier Maizerets et à la Table de concertation Littoral-Est, réclament plus d’écoute pour leurs idées concernant ces terrains, près desquels ils vivent. Leur vision concerne le territoire comme milieu de vie, habitat partagé entre urbanité et écosystème naturel. Leurs vis-à-vis évoquent plutôt ces endroits comme des occasions d’investir, de produire de la valeur économique et d’améliorer la performance de la municipalité.

Sur cette scène médiatique, les promoteurs du projet sont étonnamment peu loquaces : les quelques intervenants de la municipalité sont discrets, et les autres promoteurs, à peu près absents. Ainsi, les citoyens semblent détenir un fort pouvoir de définition du discours public autour de cette controverse. La scène médiatique fait état d’un déséquilibre dans la circulation de l’information : si les citoyens parlent beaucoup et de manière fort concrète du projet en question, les décideurs et les promoteurs semblent peu désireux d’occuper l’espace médiatique. Les éléments d’information transmis par ces derniers, minimaux et peu volontaires, constituent des signes éthiques qui n’encouragent pas le dialogue.

Proposée sur quelques pages web, la communication écrite officielle autour du projet InnoVitam demeure peu abondante et succincte [27], [32]. L’analyse lexicale semble la plus à même de révéler les signes éthiques observables sur cette seconde scène énonciative, et d’en éclairer l’ethos général. De façon remarquable, y reviennent certaines expressions distinctives : « création », « solutions », « maillage stratégique », « accélération », « santé durable », « innovation humaine », « attirer les investissements », « favoriser la croissance », « forces collaboratives », etc. Par ailleurs, le discours concernant l’état actuel du territoire concerné se résume à une seule idée : « besoin de revitalisation », secteur « dévitalisé » où il faut « améliorer la qualité de vie », sans détails concrets. L’ethos qui se dégage de ces signes éthiques manifestés par les promoteurs du projet exploite un champ lexical particulier : ces discours proposent typiquement plusieurs mots-clés dont la signification n’est pas établie et dont le sens semble plutôt dépendant de l’acte d’interprétation. D’ailleurs, le signe typographique devient parfois lui-même signe éthique : certaines de ces expressions, notamment « santé durable », sont utilisées entourées de guillemets, marquant semble-t-il leur indétermination sémantique.

Si l’on reconnaît sans surprise, dans ces performances discursives, la langue technocrate de notre époque, il peut être constaté, par-delà cette dimension stylistique, que ces mots-clés, qui constituent l’essentiel de la communication sur cette scène publique, permettent à ces acteurs – les promoteurs – de contourner la requête essentielle de leurs interlocuteurs – les citoyens –, c’est-à-dire mettre des mots sur la réalité factuelle, actuelle ou envisagée par ce projet, afin de juger de son adéquation avec un certain nombre de principes éthiques, comme la protection des environnements et des personnes vulnérables. Ainsi, à travers ce langage à la sémantique fuyante, contre lequel il est par ailleurs risqué de se positionner éthiquement (qui peut se dire contre l’innovation ou la « santé durable » ?), la stratégie rhétorique de ces acteurs leur permet d’élaborer une présentation d’eux-mêmes (et de leur projet) fantomatique et séduisante.

Par ailleurs, et pour rappeler ici la nature sociale du discours en question, les personnes réelles qui manifestent et endossent ouvertement cet ethos jouissent pour la plupart d’une position dominante dans l’espace économique, ce qui leur permet également de bénéficier d’office d’un capital de crédibilité dans l’espace public. Du point de vue stratégique, il semble ainsi que la présentation de soi, ou l’ethos, qu’ils cherchent à mettre de l’avant ne s’adresse pas, en réalité, à leurs vis-à-vis dans la controverse. Leurs discours, par ailleurs, occultent complètement cette dimension agonistique du projet d’aménagement : il n’est même pas question de travailler à l’acceptabilité sociale de la zone d’innovation, comme si cela n’était pas un enjeu.

La troisième scène de cette enquête sociosémiotique se constitue en pointillé dans le processus de consultation publique « Vision d’aménagement pour les quartiers de la Canardière ». Signe éthique de premier plan, l’appellation même « quartiers de la Canardière » ne correspond à aucune catégorie endogène d’identification du territoire : il s’agit d’une dénomination ad hoc, qui fait d’un boulevard peu convivial (rue de la Canardière) l’élément central du plan d’aménagement, dissolvant les enjeux spécifiques posés par InnoVitam dans un projet plus global de revitalisation du secteur. Pour plusieurs informateurs citoyens, il s’agit d’un « déni » de l’identité spécifique de leurs quartiers, et par extension, de leur sentiment d’appartenance à ceux-ci[6].

La démarche des consultations publiques est le théâtre de signes éthiques ambivalents : si les moments de réunion forment effectivement des scènes d’interaction, il semble que la « rencontre » n’y ait pas lieu. La scénographie de ces séances, tenues dans un temps très limité, lors de soirées de semaine, où peu d’espace est accordé aux questions et réflexions et lors desquelles la conversation est morcelée en thématiques prédéfinies, reproduit ce qui est remarquable sur les autres scènes : les promoteurs apportent leur vision, abstraite et sémantiquement fuyante, du projet ; les citoyens, eux, abordent les enjeux et obstacles réels du territoire et de la collectivité y vivant, mais sans obtenir ni écoute, ni reconnaissance, ni soulagement à leurs interrogations. Sur le plan de l’agir communicationnel et des signes éthiques pointant vers sa compréhension, les témoignages recueillis auprès de nos informateurs tendent à montrer une extension de la confrontation.

Dans le cadre de la consultation publique, des mémoires et des commentaires ont également été déposés à l’intention de la municipalité. Puisque les auteurs devaient donner leur accord pour la publication de ceux-ci, des mémoires ont peut-être été déposés par d’autres groupes d’intérêts et ne sont pas accessibles. Dans ces documents comme dans leurs interventions sur d’autres scènes, les citoyens font état de préoccupations à la fois pragmatiques et éthiques vis-à-vis de la zone d’innovation (ZI) concernée :

[Nous demandons un] débat public démocratique et ouvert [sur] la vocation des terrains visés. … Le projet InnoVitam nous apparaît comme une vision de développement pour une population bien nantie. [20]

Ce modèle de développement économique financé par les fonds publics et bénéficiant au bout du compte principalement à des multinationales m’apparaît contraire à l’intérêt national québécois. … sur le Littoral Est, la ZI serait située en partie en zone inondable. L’idée d’y construire un parc techno-industriel me semble alors incohérente. [34]

… les ZI ne sont pas conçues pour répondre aux besoins des populations locales, … nous nous questionnons sur le choix du site … et sur la pertinence de changer dès maintenant le zonage de ce secteur avant la tenue de consultations publiques et l’élaboration d’un plan d’aménagement définitif pour l’ensemble du secteur Littoral Est. [8]

Le champ lexical mobilisé par leurs argumentaires soulève des réalités et des préoccupations factuelles : « gentrification », « frais de logement », « accès aux services », « lieux de socialisation accessibles », « cible de canopée de 40 % », « accès aux berges », « qualité de l’air », etc.

L’événement « Rendez-vous InnoVitam » constitue une autre scène localisée qui permet de repérer quelques signes supplémentaires pour qualifier les ethe en présence. Le 16 juin 2022, les « porteurs du projet » InnoVitam organisent une « journée d’ateliers de discussions et de cocréation avec les parties prenantes » [32]. Bien qu’invités à cette journée, les citoyens y sont d’emblée marginalisés : les allocutions d’ouverture sont réservées aux décideurs et grands promoteurs du projet (le député président de la Commission des finances publiques, la rectrice de l’Université Laval, le PDG de l’agence Québec International, etc.). Deux « ateliers » de discussions sont prévus : l’un portant sur les « opportunités », l’autre encourageant les participants à émettre des idées sur l’avenir (« Vision 2035 ») et la manière dont « InnoVitam pourra avoir des retombées positives pour tous et générer de nouvelles opportunités » [33]. Si la place des citoyens est évoquée (parmi les « clés du succès » énoncées, on trouve « Respecter la communauté locale : écoute, dialogue, transparence, inclusion, participation à la gouvernance » [33]), l’aspect conflictuel et redouté du projet, palpable dans les discours des acteurs citoyens, n’est pas du tout évoqué. Or, cet événement n’a pas su rallier les citoyens critiques du projet : les informateurs rencontrés ont révélé se sentir « instrumentalisés » dans le cadre de l’organisation de cette journée. Ainsi, même dans le cas d’une concertation annoncée, le discours des promoteurs ne parvient pas à convaincre : les signes éthiques qui se dégagent de leurs performances discursives sont interprétés comme manipulateurs et purement rhétoriques.

Outre celles dont nous avons traité (médiatique, promotionnelle, politiques), une dernière scène se révèle à l’analyse, mais en creux, car elle est invisible aux locuteurs présents sur les autres espaces de conversation, de même qu’au grand public concerné par la controverse. Sur cette scène spectrale se met en forme le développement réel et factuel du projet. Cette scène réunit, on peut le croire, les promoteurs, les politiques et leurs partenaires, mais il est impossible d’avoir accès aux discours qui y circulent. L’auditoire de ces locuteurs, lorsqu’ils se présentent sur cette scène, est également indéfinissable : eux-mêmes, le milieu des affaires, des membres de la communauté scientifique ? Qui parle à l’intention de qui, avec quelles logiques et quels objectifs : tout cela se dérobe au regard du public. Les documents qui témoignent de cette scène, obtenus par les groupes citoyens grâce à des recours en vertu de la Loi sur l’accès à l’information [19], sont presque entièrement caviardés, y compris le document « Objectifs du projet » [2], où la seule mention échappant à la censure est le titre. Ainsi, les discours concernant la réalité matérielle du projet, et non sa projection rhétorique, demeurent difficiles d’accès, sauf pour les interlocuteurs de proximité de cette scène privée. Puisque nous n’avons pas accès à ces coulisses, nous n’avons pas pu consulter ces documents dans leur intégralité et n’avons pu, en conséquence, en mener une analyse lexicale ou autre.

L’occultation volontaire de cette scène, que l’on sait par ailleurs active, et la censure extensive des discours y ayant lieu, expliquent en grande partie la méfiance des citoyens envers le projet. Ruinant les efforts de présentation de soi déployés publiquement, l’existence de cette scène occulte, coulisses suspectes où se passent « les vraies affaires » dans l’espace privé de la sociabilité entre hauts fonctionnaires et promoteurs influents, devient un signe éthique très puissant qui alerte, plutôt qu’il ne rassure, sur de possibles processus de manipulation en cours. Il est compréhensible, dans ces circonstances, que les citoyens opposés à la forme que prend l’avancement des travaux autour d’InnoVitam attribuent à ces promoteurs un ethos de la dissimulation, de la manipulation et de la volonté de dépossession.

4.3 Signes éthiques et analyse sociosémiotique : ethos du développer versus ethos de l’habiter

De façon synthétique, il se dégage de l’analyse des signes éthiques la présence de deux ethe, qui s’affrontent et se rencontrent sur certaines scènes, tout en se constituant également en autonomie. Comment les distinguer ? Il semble que la nature des représentations du territoire constitue une dimension structurante de ces ethe, à la fois sur le plan rhétorique, sociologique, axiologique et pragmatique.

Le territoire large concerné par le projet InnoVitam est actuellement assez densément peuplé, mais les terrains visés pour l’érection des futures infrastructures de la zone d’innovation sont à l’état plus ou moins désaffectés. Conformément à la rationalité « progressiste », ce territoire réel et actuel, y compris ses parties occupées par des citoyens, est présenté avec un lexique négativement connoté : « abandonné », « défavorisé », « à revaloriser », etc. Ce discours a une double signification : le présent n’est pas enviable ; un avenir meilleur a pour condition la mise sur pied de projets s’inscrivant dans la logique du « développement ». Ce qui s’avère remarquable dans les communications des promoteurs et des pouvoirs publics est la priorisation d’un discours sur l’avenir, où celui-ci est idéalisé et projeté (« vision », « potentialités », etc.), face à un présent qui, à peine abordé, semble déjà révolu. Cette rhétorique permet aux décideurs et partenaires économiques de se positionner en acteurs de cette transition. Associée à la sémantique fuyante du champ lexical abordant la future réalité du projet, cette connotation négative du territoire présent produit un ethos orienté principiellement vers l’acte de « développer », d’où se dégage une représentation particulière du monde concret : il n’existe à peu près pas. Ainsi proposons-nous d’y voir un ethos du développer perceptible à travers de multiples signes éthiques : lexique, scène-coulisses, manipulation des signes et des scénographies afin de faire achopper les exigences de positionnement sur le réel, tant au présent qu’au futur. La priorité accordée à la prospective (« Vision 2035 »), mêlée à un certain déni du présent concret (les réalités humaines et écologiques du quartier, leurs besoins explicites et leurs conditions objectives d’accomplissement), forment l’armature de cet ethos du développer, que l’on pourrait reconnaître dans un grand nombre d’initiatives contemporaines relevant d’un certain « esprit du capitalisme avancé ».

Les acteurs citoyens impliqués dans la controverse partagent de tout autres signes éthiques, qui font état d’un autre univers de sens concernant le territoire et ses besoins. Ces acteurs performent discursivement et publiquement la revendication de leur « droit à la ville » (Harvey 2003 ; Lefebvre 1967), et mettent de l’avant un discours qui manifeste leurs représentations de leur quartier par l’entremise d’activités de mobilisation du sentiment d’appartenance ou des propositions concrètes d’aménagements connectés aux besoins des citoyens (comme un centre communautaire autogéré [11]). À la lumière de ces signes éthiques, observables dans les discours et dans les pratiques des acteurs citoyens, il se révèle plutôt un ethos de l’habiter qui, sans délaisser une perspective sur l’avenir et le devenir, ancre celle-ci dans une réalité concrète et objective.

Les signes éthiques discursifs que nous venons de faire ressortir se présentent sur des scènes variées, tantôt partagées, tantôt exclusives. Lorsqu’elles sont partagées, comme lors des consultations publiques, les instances administratives publiques en sont les régulatrices : elles organisent les consultations, en orientent la nature, et sont libres d’en rendre compte en tout ou en partie. Cependant, le discours de la municipalité est marqué par une grande ambivalence. Il est donc difficile de lui reconnaître un ethos défini. D’un côté, la Ville se présente comme attentive aux besoins du milieu, en phase avec les désirs des citoyens et impliquée dans une « revitalisation » ; de l’autre, elle se présente comme une alliée des promoteurs en brossant d’eux une image flatteuse de « bâtisseurs » et en avalisant l’ethos du développer contre l’ethos de l’habiter, favorisant un futur fantasmé face à un avenir incarné. Cette ambiguïté ne « passe pas » : les citoyens, comme ils le disent eux-mêmes, ne sont « pas dupes ». Les autorités ont échoué, pour le moment, à gagner la confiance du public, révélant l’échec au moins partiel de leur stratégie rhétorique. Or, le projet va de l’avant, et les citoyens parlent dans le vide. Comment cela est-il possible ? Faut-il en déduire directement qu’il s’agit d’une grande manipulation ?

Il semble que les concepts d’ethos, de signe éthique et de scène permettent une analyse nuancée de cette « manipulation ». Dans une telle étude, l’approche par l’ethos et les signes éthiques permet de s’émanciper d’une critique naïve adossée à des jugements de valeurs a priori sur les acteurs et leurs intentions, de même que d’un relativisme stérile du point de vue de l’analyse sociologique. Si l’agonistique des rapports sociaux semble ici inévitable, considérant les intérêts forts différents des uns et des autres, l’analyse par l’ethos permet de voir comment ces intérêts et les logiques éthiques qui les légitiment orientent effectivement l’agir communicationnel de chacun : habiter le territoire de proximité ou développer et faire fructifier un capital territorial ne sont pas des objectifs qui conduisent aux mêmes choix pratiques.

Au terme de cette étude, il nous apparaît que l’ethos, en tant que médiation entre l’horizon axiologique et le champ des possibles pratiques, revêt un potentiel spécifique pour la critique des dynamiques de pouvoir tout à fait adapté aux enjeux de notre temps. Selon Baumlin et Meyer, « nous vivons dans une époque d’ethos : les questions de “confiance,” d’expertise et d’“autorité charismatique” ont largement supplanté le logos des Lumières ou les “bonnes raisons” comme fondement des discours populaires » (Baumlin et Meyer : 3, trad. libre). Dans le cas du projet InnoVitam, la dimension rhétorique de la démarche entreprise par les promoteurs privés, en complicité avec les autorités municipales, montre une ambiguïté fondamentale qui concerne, en effet, la question de la confiance, mais aussi celle de la manipulation des discours en fonction d’intérêts jamais complètement révélés au grand jour. Ce cas nous aura permis de montrer la puissance et la concordance des concepts d’ethos et de signe éthique dans le contexte d’une analyse sociosémiotique des pratiques sociales relatives aux dynamiques d’occupation, d’appropriation et d’usage du territoire.

5 Conclusions

Comme le montre l’étude de cas tout juste proposée, les signes éthiques définissent les scènes où se déploie l’agir communicationnel, et conduisent à certains constats qui ouvrent sur une compréhension pluridisciplinaire de l’ethos et de son efficacité heuristique. Si la définition rhétorique, voire poétique, de l’ethos permet ici de repérer les pratiques discursives en termes de présentation de soi et sur l’axe de la persuasion, la dimension sociologique autorise quant à elle à connecter indexicalement cet ethos rhétorique à l’ordre des représentations, des valeurs, voire des cadres idéologiques. En effet, l’ethos, comme médiation entre les systèmes symboliques et les logiques d’action, se rapporte « à un ensemble cohérent de dispositions pratiques, quelque chose comme un style de vie prenant appui sur un “esprit” » (Amossy 2021 ; Bédard 2016 : 264).

La controverse autour du projet InnoVitam est localisée, mais son étude met en évidence une méthode adaptable à d’autres objets de recherche. Les signes éthiques, débusqués sur les scènes énonciatives qui façonnent concrètement la situation, soulignent la dimension dialogique de l’action sociale, tel que discuté en deuxième partie de ce texte. Leur étude ouvre à notre avis à des potentialités de recherche fertiles et particulièrement bien ajustées au temps présent.

Bien qu’en toute situation les acteurs considérés sont susceptibles de présenter des inégalités sur le plan des rapports sociaux de pouvoir et de reconnaissance, l’approche par l’ethos et les signes éthiques organise son horizontalité analytique en faisant de l’isonomie une condition de possibilité de l’espace public démocratique et oppositionnel. Nous avons montré comment ces acteurs, quel que soit leur positionnement politique, jouent de stratégies, manipulent les signes éthiques, attribuent des ethe à leurs vis-à-vis, participent à la définition des scènes discursives et donnent ainsi du sens à leurs actions. Si certains signes éthiques sont explicites et volontaires, participant de l’ethos rhétorique que les acteurs cherchent à projeter, d’autres se dégagent simplement de leurs pratiques, produisant parfois des effets surprenants. Dans la lignée aristotélicienne, l’analyse de ce type de controverse publique permet de voir comment les acteurs s’y rattachant endossent des ethe de sens commun. Se pourrait-il que les ethe en affrontement – habiter/développer – que nous avons distillés de l’analyse désignent en fait les pôles d’un axe éthique structurel à de nombreuses controverses actuelles autour du territoire et des milieux de vie ?

Au terme de cet article, nous croyons que la reconnaissance des signes éthiques au cœur de l’analyse sociosémiotique des situations sociales, notamment de controverses publiques, constitue une voie productive de collaboration interdisciplinaire. Autour de la notion d’ethos, comprise dans son histoire terminologique plurivoque et dans son opérationnalisation contemporaine, la méthode d’étude des signes éthiques proposée ici renouvelle l’approche compréhensive en sociologie. Si une telle entreprise ne va pas nécessairement de soi, elle nous apparaît néanmoins comme une voie féconde permettant de mieux comprendre le sens des pratiques dialogiques au cœur de l’agir humain. Comme l’a écrit Bakhtine peu avant sa mort, « le sens ainsi compris (dans le contexte inachevé) n’est ni paisible ni confortable (on ne saurait s’y reposer et mourir) » (Bakhtine 1984 : 424). Pour rester vivante, la recherche, en études sémiotiques comme en sciences sociales, doit assumer cet inconfort.


Corresponding author: Simon Levesque, Université du Québec à Montréal, Montreal, Canada, E-mail:

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Received: 2023-08-25
Accepted: 2024-05-14
Published Online: 2024-07-16
Published in Print: 2024-09-25

© 2024 the author(s), published by De Gruyter, Berlin/Boston

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Downloaded on 19.11.2025 from https://www.degruyterbrill.com/document/doi/10.1515/sem-2023-0136/html
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