Home Linguistics & Semiotics La forme d’existence, un régime sémiotique: acte délictueux et modes de sémiotisation
Article Open Access

La forme d’existence, un régime sémiotique: acte délictueux et modes de sémiotisation

  • Ralitza Bonéva EMAIL logo
Published/Copyright: September 29, 2025
Semiotica
From the journal Semiotica

Résumé

Cette étude a pour objectif de déterminer la forme d’existence en tant que régime sémiotique. La forme d’existence est un agencement de propriétés, appartenant à divers modules d’analyse, dont l’entité renvoie à un code, se constituant ainsi en isotopie par rapport à elle. En particulier, l’étude examine le flagrant délit comme un modèle de forme d’existence dont les spécificités sont circonscrites par le code juridique. D’intenses interférences entre les formes d’existence et le code se produisent de manière à ce que l’espace sémiotique de celui-ci soit contraint à se modifier, s’intensifiant/relâchant ou s’élargissant/rétrécissant, afin que de nouvelles formes d’existence y soient prises en compte ou réfutées. En dernier ressort, nous constatons que de nouveaux modes de sémiotisation apparaissent, par séparation ou par bifurcation, et augmentent l’intensité de l’espace sémiotique du code ou repoussent ses limites. La forme d’existence en tant que régime sémiotique nous permet d’appréhender les différences entre divers environnements sémiotiques ainsi que d’évaluer les évolutions ou les régressions apparues dans le même environnement sémiotique au cours du temps. Elle se manifeste alors telle une expression des tensions, des accumulations et des interdits, des refoulements et des compromis qui tissent l’environnement sémiotique.

Abstract

This study aims to determine the form of existence as a semiotic regime. The form of existence is an arrangement of properties, belonging to various analysis modules, whose entity refers to a code, thus serving as an isotopy in relation to it. In particular, the study examines the flagrant offense as a model of the form of existence whose specificities are located in the semiotic space of the legal code. Intense interferences between the forms of existence and the code occur in such a way that the semiotic space of the latter is forced to change, intensifying/relaxing or widening/narrowing, so that new forms of existence are taken into account or refuted. Ultimately, we note that new modes of semiotization appear, by separation or bifurcation, and increase the intensity of the semiotic space of the code or push back its limits. The form of existence as a semiotic regime allows us to grasp the differences between various semiotic environments as well as to evaluate the evolutions or regressions that have appeared in the same semiotic environment over time. It then manifests itself as an expression of the tensions, accumulations and prohibitions, repressions and compromises that weave the semiotic environment.

1 Introduction

L’étude qui suit se propose de délimiter un régime sémiotique, celui de la forme d’existence. Le régime sémiotique est un ensemble, un agglomérat d’éléments hétérogènes et, comme le définit Jacques Fontanille (2023: 47): « … un régime n’est pas un schéma, encore moins un universel; c’est une composition (ou agencement) de propriétés et catégories appartenant à plusieurs niveaux (ou modules) d’analyse, dont on peut caractériser le genre, et dont on peut décliner les espèces ».

Nous commençons par cerner le régime sémiotique de la forme d’existence, le délimitant brièvement par rapport à deux autres régimes sémiotiques, le style de vie (Landowski 1997) et la forme de vie (Fontanille 2015). Dans un second temps et dans l’objectif de problématiser le genre, l’étude se concentre sur l’acte délictueux, et plus spécialement, sur le flagrant délit, telle une espèce de forme d’existence. Le flagrant délit possède l’avantage de rendre explicites et bien distincts les liens de signification entre les modules d’analyse le composant, nous permettant ainsi d’examiner la structuration d’un modèle de forme d’existence. Sa manifestation syntagmatique étant un programme de base, au sens sémiotique, le délit se déploie au niveau des relations intersubjectives et possède en même temps un rapport identifiable au code juridique, composante de la sémiosphère. Une fois le code activé, se déclenchent des procédures judiciaires, diverses mesures et prescriptions, qui régulent le vivre-ensemble, les conduites, et jusqu’à l’existence individuelle. Le flagrant délit nous permet d’examiner les rapports de sens entre les propriétés et les catégories qui caractérisent la forme d’existence.

Notre étude s’inscrit dans une sémiotique de l’existence, telle qu’elle a été initiée par Algirdas Julien Greimas dans De l’imperfection (1987), et rebondit sur la proposition de construire la signification « à partir de la ‘manière de fluer’, et pas à partir de son seul résultat final », proposition de J. Fontanille (2023: 50). Ainsi, nous interrogeant au cours de ce travail sur les reconfigurations du sens, se manifestant dans les exemples de la forme d’existence de l’acte délictueux, notre hypothèse de travail s’articule sur l’idée que la manière de fluer de la signification est la conséquence de la mise en place de divers modes de sémiotisation. Ces divers modes de sémiotisation, en rapports tensifs entre eux, circonscrivent en fin de compte l’espace sémiotique du code dont ils sont l’émanation; dans notre cas, il s’agit du code juridique.[1]

Les exemples d’actes délictueux, sur lesquels l’analyse rebondit, sont repris de cinq films documentaires, consacrés aux institutions de la police et de la justice. Il s’agit de Law and Order (1969) de Frederick Wiseman, réalisateur dont la spécificité du style repose sur l’exploration des institutions. Le documentaire Une autre justice (2016), réalisé par Chloé Henry-Biabaud et Isabelle Vayron, qui présentent la percée de la justice restaurative (réparatrice) aux États-Unis. Et trois films du cinéaste Raymond Depardon, Faits divers (1983), Délits flagrants (1994), et Muriel Leferle (1996). Dans la plupart des séquences que nous abordons, les auteurs des actes délictueux sont en entretien soit avec un inspecteur de la police soit avec le substitut du procureur, l’objectif étant d’entendre leur version des faits afin d’établir l’intégralité du programme de base, le délit. Puisque le corpus se compose prioritairement de séquences reprises des films de R. Depardon, nous nous arrêtons un peu plus sur son approche. Comme on peut le remarquer, le titre Délits flagrants ne reprend pas l’expression figée flagrant délit, terme juridique, mais l’inverse. Cette inversion a pour effet de déplacer l’accent sur la fissure apparue dans l’ordre intersubjectif.[2] L’inversion retouche le trait flagrant et produit un rythme différent, dans lequel une autre dimension aspectuelle émerge. Une distance s’instaure entre le rapport proprement juridique au cas présenté et un rapport autre qui se construit au cours du plan filmique; celui-ci nous fait sentir une perspective empathique ne soit-ce qu’en révélant son absence. Quant à Faits divers, encore une fois, il ne faut pas miser sur l’expression figée pour comprendre le titre, celui-ci vise plutôt à suggérer la nature fragmentaire des épisodes qui construisent l’œuvre. Sans lien entre eux ni trame, ce sont des « temps faibles » qui, chose paradoxale, se transforment, dans les films de R. Depardon, en document essentiel sur les êtres humains. Ils nous interpellent, malgré leur « insignifiance », ou bien notamment à cause d’elle, sur la manière dont les hommes et les femmes se parlent et dont ils s’esquivent, dont ils se mettent en scène et dont ils s’écroulent, sur le huit clos de la justice et sur ses limites. L’importance de ces films, leur portée à la fois conceptuelle et expérientielle, est attestée par l’impact qu’ils produisent au sein du système judiciaire lui-même. Rétrospectivement, nous pouvons voir que les effets de sens de ces fragments d’existence insignifiants ont traversé plusieurs décennies et restent toujours actuels (cf. infra).

2 La forme d’existence, un régime sémiotique

La forme d’existence émerge autour d’un Soi-corps propre (Fontanille 2011) qui est engagé dans des rapports symplectiques[3] avec autrui, s’institutionnalisant dans un vivre-ensemble et évoluant au sein d’une sémiosphère. Le schéma, que nous avons proposé dans une étude antérieure, illustre cette entité avec les modules d’analyse la composant (Figure 1),[4] ceux-ci étant en rapports de reconfiguration constante, intégrés les uns dans les autres. Pour les rappeler brièvement: i) les rapports corps/langage[5] cernés par un Soi-corps propre; ii) les effets de sens produits par les rapports entretenus vis-à-vis de soi-même et d’autrui, indépendants ou s’entre-déterminant, la catégorie mêmeté/ipséité étant centrale; iii) les effets de sens des modes d’organisation (institutionnalisation) du vivre-ensemble, autour de la catégorie intimité/extimité et la riche palette de déclinaisons de la notion d’empathie; iv) les rapports de sens conditionnés par la sémiosphère et les processus de symbolisation/désymbolisation qu’elle engendre, amplifie ou inhibe.

Figure 1: 
La forme d’existence, modules d’analyse.
Figure 1:

La forme d’existence, modules d’analyse.

Chaque module est déterminé par des types de rapports existentiels: i) individuels et réflexifs; ii) réfléchis pluriels, transitifs, réciproques/irréciproques et/ou symplectiques; iii) collectifs; iv) culturels et (auto)représentatifs. Les deux flèches, sur la Figure 1, indiquent les circulations de signification qui traversent les modules de bout en bout, depuis le Soi-corps propre jusqu’à la sémiosphère, et inversement.

Le style de vie (Landowski 1997) et la forme de vie (Fontanille 2015), ces deux autres régimes sémiotiques, se caractérisent par une intentionnalité qui les constitue et par leur stabilité finale. Le style de vie relève d’une typologie de comportements sociaux, bien qu’il inclue des caractéristiques existentielles, celles-ci sont envisagées comme invariables et continues. Alors que la forme de vie se présente comme le résultat d’une persistance par rapport à un projet de vie, dotée d’un régime de croyance d’identification durable (cf. notamment Fontanille 2015: 77–78, cf. partie 4.1.2). En revanche, le régime sémiotique de la forme d’existence, que nous nous proposons d’examiner, pourrait être vu comme une manifestation locale et temporaire des deux autres régimes, soumis aux changements d’un cours d’existence, instable, discontinu, repérable en amont et/ou en aval d’une transformation, avec ses résistances, consentements, prises de risque, consensus et compromis, bref, avec ses fluctuations.

Nous reprenons la définition opératoire de l’existence sémiotique, proposée dans Sémiotique Dictionnaire raisonné de la théorie du langage (Greimas et Courtés 1993 [1979]: 138): « l’existence sémiotique d’une grandeur quelconque est déterminée par la relation transitive qui la lie, tout en la posant comme objet de savoir, au sujet cognitif ». Pour A. J. Greimas, l’existence se décline en modes, elle est: virtuelle, actuelle, réalisée, potentielle. Dans De l’imperfection (1987), elle est envisagée sous différents angles: lieu de « fracture » d’isotopie, condition de ré-assomption autre, « éphémère sensation tactile » (Greimas 1987: 28, 48, 68), redondance qui réduit la vie intérieure au silence ou, au contraire, qui se met tout d’un coup à « jouer une petite sonate » (Greimas 1987: 87). Par la suite, dans la sémiotique tensive (Fontanille et Zilberberg 1998), le mode d’existence ouvre un champ de présence, défini par la saisie et la visée (cf. infra). La forme d’existence se manifeste, pour nous, comme une séquence instable d’actes, d’états et de ressentis, elle fait l’objet de jugements (existentiels, affectifs, pragmatiques, cognitifs) et entretient des rapports (ou les évite) avec elle-même, une autre forme d’existence et/ou l’environnement. Elle possède une dimension virtuelle, se caractérisant par les rapports in absentia quant aux langages et aux codes de la sémiosphère, quant aux autres possibles, non réalisés, dans les relations du Soi-corps propre avec lui-même et avec autrui. L’axe paradigmatique assure la dynamique des processus de signification par leur potentielle substituabilité. La forme d’existence possède également une dimension actualisée dans des rapports in praesentia, l’impliquant dans un agencement syntagmatique d’actes, d’états et de ressentis. Elle est dotée d’un plan de l’expression et d’un plan du contenu. Puisqu’il lui est propre de se manifester en amont ou en aval d’une transformation, la séquence existentielle dans laquelle s’inscrivent des états d’âme et des manières de faire ou de ne pas faire, se présente comme régression, hésitation, écart, avancement, rupture d’isotopie ou, au contraire, un enchevêtrement d’isotopies distinctes, ou bien encore, est le fait d’une ré-assomption ou d’une seconde lecture (cf. Greimas 1987). Le plan du contenu comprend les expériences qui se mettent en place dans la vie esthésique et affective du Soi-corps propre au cours d’une séquence existentielle ou à la base d’une interaction minimale. L’expérience est d’emblée envisagée comme une opération d’embrayage, alors que l’opération de débrayage est propre à l’existence (Bertrand et Fontanille 2006).

Les relations intersubjectives et les conduites renvoient à des codes, plus ou moins bien structurés, pas toujours écrits spécialement, à la différence du code juridique, et dont le déclenchement et l’activité de régulateur sont moins perceptibles. Néanmoins, ces codes exercent une fonction corrective par la mise en place de divers types de « sanctions », positives ou négatives, parmi lesquelles: sourires, encouragements, silences, plaintes, petits cadeaux, etc. Ils régulent ainsi à leur manière, plus ou moins ostensiblement, les interactions, le vivre-ensemble, les conduites et jusqu’à l’existence individuelle. Tels sont les codes de la politesse (cf. Kerbrat-Orecchioni 2005, 2010), les codes des rituels du quotidien (cf. Goffman 1973 [1959]), le code de l’honneur (cf. Greimas et Fontanille 1993), le code de l’amour, de l’amitié, etc.[6] Quant au terme de code, il faut l’entendre au sens large, il peut s’agir de normes, de coutumes ou seulement d’attentes préétablies. Or, ces codes, coutumes, attentes ou normes, se conçoivent en partie dans les interactions, ils se transmettent de génération en génération et sont constamment remodelés dans le vivre-ensemble, tout en promouvant les valeurs de la sémiosphère dans un processus d’ajustement réciproque.

La manifestation d’une forme d’existence est toujours en rapport avec un ou plusieurs codes, attentes ou normes, soient-ils comportementaux, relationnels, moraux, de goût ou autre, se profilant nettement ou restés en filigrane. D’autre part, ce code (ensemble de coutumes, normes, attentes) appartient et renvoie à une sémiosphère, à une de ses zones, hiérarchisées selon l’opposition centre/périphérie, ou coextensives, selon les domaines du savoir et les priorités du faire. Le code joue le rôle d’isotopie pour une forme d’existence car il focalise les liens entre les instances – Soi-corps propre, Autrui, institutions du vivre-ensemble, composantes de la sémiosphère (formes de vie, styles de vie, langages) – et exerce une force de maintien de ces liens, remplissant ainsi les deux fonctions d’une isotopie, comme le postule J. Fontanille (2023: 52). C’est par rapport au code (ou à l’ensemble de coutumes, etc.) que l’on remarque l’écart, la rupture, l’entorse, le compromis, bref, la particularité de l’état dans lequel se trouve la forme d’existence. En effet, une séquence existentielle, tel le délit dans notre cas, devient forme d’existence dans la dynamique de la remise en cause et/ou de l’examen; on l’identifie au moment même où on la conteste.

Pour interroger les prémisses ainsi exposées, l’étude va procéder à l’analyse des exemples de flagrant délit et des effets de sens qui les accompagnent. Ces exemples s’organisent dans un espace tensif, dont les valeurs de corrélation sont des modes de sémiotisation.[7] Ces modes déterminent en fait l’espace sémiotique qu’occupe le code (ou l’ensemble de coutumes) et, par leurs rapports internes, provoquent, dans une perspective d’affinement et/ou d’expansion, ses reconfigurations (cf. infra). Cependant, avant d’aborder les exemples et l’espace tensif du code juridique, nous nous arrêtons sur les propriétés de l’acte délictueux en tant que sémiotique-objet.[8]

3 Le flagrant délit comme objet sémiotique

3.1 Acte versus texte

Nous référant au texte de Roland Barthes « Structure du fait divers » (1964 [1962]), nous allons délimiter quelques spécificités du délit, par comparaison avec le fait divers. Certains délits peuvent être présentés comme des faits divers, mais pas tous, et inversement, tous les faits divers ne sont pas des délits. Le fait divers est un genre de texte, très hétérogène, qualifié également de « mise en scène sémiotique » (Dubied 2004: 13), rebondissant sur l’existence de moutons à cinq pattes, pluies diluviennes, crimes atroces du versant sordide ou sacrifices du versant héroïque (Leutrat 2004: 51), ainsi que sur des incidents techniques. En voici un exemple: « Le chaudron olympique refuse de s’allumer au troisième jour du relais de la flamme ».[9] Ce fait divers récent repose sur la « fausse innocence de l’objet » et sur l’idée du « troisième » fatidique; « un dieu rôde – disait Barthes – derrière le fait divers » (1964 [1962]: 203). L’énonciation accentue et ouvre des brèches vers l’obscur et l’irraisonnable, la « causalité est suspendue entre le rationnel et l’inconnu » (Barthes 1964 [1962]: 199). Si, pour comparer fait divers avec délit, on décide de les considérer comme des faits, le fait dans le fait divers se signale – l’énonciation en est responsable – comme quelque chose « d’inclassable ». Le fait divers est toujours le comble qui dépasse la norme, il s’opère une « conversion du hasard en signe » (Barthes 1964 [1962]: 202). Il n’est pas étonnant alors que certains voient, dans le fait divers, un miroir des carences de la société (Cerquiglini 2022: 885).

Alors que le délit repose sur l’acte. L’acte, selon la définition de Sémiotique Dictionnaire raisonné de la théorie du langage (Greimas et Courtés 1993 [1979]: 5), exemplifie le passage de la compétence à la performance, d’une structure modale à un faire. Il y a également une transformation d’un sujet de savoir (pouvoir, devoir, croire ou vouloir) en un actant qui met en place ou subit un programme, s’y ajuste ou encaisse un accident.[10] L’acte opère ainsi entre intérieur et extérieur, il est lui-même une transformation. La compétence du sujet inclut également la connaissance implicite de règles psychologiques, culturelles et sociales (Greimas et Courtés 1993 [1979]: 5; cf. Hymes 1984), fait qui renvoie à la manière dont le code et l’ensemble de coutumes sont intériorisés. Se mettent en place des écarts, des nuances, des disparités, qui avivent la confrontation entre le Soi-corps propre et autrui, et/ou l’environnement, tout en enrichissant le processus d’individuation de la forme d’existence.

Enfin, le délit est un enchaînement d’actes, un programme au sens sémiotique, dans lequel on vise la conjonction/disjonction avec un ou plusieurs objets matériels ou immatériels.[11] Le flagrant délit se spécifie par le fait que l’auteur de l’acte blâmable est pris au moment même où il le commet; il représente ainsi l’échec d’un programme – l’accident (cf. Landowski 2024: 106) –, dont la réussite aurait nécessité qu’il se fonde dans l’ordinaire, qu’il passe inaperçu. Étymologiquement, « flagrant » appartient à la famille de « flamme » (Le Petit Robert), du latin « flagrare », traduit comme « flamber ». Ainsi, flagrant peut signifier « brûlant », « chaud » (TLFi), évoquant un processus intense « en train de se produire » ou « immédiatement constaté ». Dans les deux cas – s’agit-il d’un surgissement ou d’une révélation – les sèmes de brusque, incontestable, ostensible sont engagés et marquent l’aspectualité du procès, nous y reviendrons.

Le flagrant délit se structure alors à rebours du fait divers. Non seulement il n’est pas le fait d’une énonciation qui mise sur l’inexplicable, bien au contraire, sa seconde phase – l’étape du déchiffrement – se poursuit dans une confrontation de plusieurs énonciations se contrecarrant, l’objectif étant la construction d’un simulacre du référent externe. Celui-ci est par définition inatteignable dans le cas du fait divers. C’est pourquoi R. Barthes (1964 [1962]: 195) le définit comme « une information totale », « immanente », « il ne renvoie formellement à rien d’autre qu’à lui-même ». Le fait divers se ressource dans l’absence d’explication plausible – celle-ci le ramènerait à l’ordre des choses et le détruirait. Fait divers et délit sont d’orientation opposée quant aux termes des catégories stable/instable, circonscrit/étendu, discontinu/continu, comme le sont texte et acte. De surcroît, lors de l’élucidation de l’acte délictueux, il s’avère nécessaire de remonter d’un faire à une structure modale, d’une performance manquée à une compétence, opération qui se concrétise dans des procédures judiciaires riches en conséquences.

3.2 Le flagrant délit comme prédicat: les rapports entre les instances

Le délit comme prédicat met en rapport plusieurs instances: l’actant-sujet auteur de l’acte, l’actant-objet visé par l’acte, l’objet convoité, le code (l’ensemble de coutumes ou de relations intersubjectives) violé, un actant-tiers témoin (le cas échéant), un actant-tiers déchiffreur, un actant-tiers qui sanctionne, le judicateur, la sanction elle-même, un actant-observateur du procès. Une valence supplémentaire s’ouvre dans le cas d’une déficience quant à la raison, comme dans les crimes sans raison, le corpus de Michel Foucault (1981), pour lesquels l’institution judiciaire recourt à l’expert psychiatre. Concernant le délit, on fait appel à un enquêteur de personnalité, travailleur social ou psychologue. Il s’agit en fin de compte d’un prédicat à huit valences, si l’on se réfère à la théorie de Lucien Tesnière (1959: 238–280), tout en l’élargissant.[12] Nous pouvons en déduire que le prédicat qui régit un nombre élevé d’actants est susceptible d’engendrer des interdépendances enchevêtrées, se transformant en germe de significations supplémentaires et en pivot de relations se complexifiant. Le flagrant délit quitte la sphère proprement intersubjective et devient une affaire d’environnement sémiotique, une affaire d’atteinte au code. D’autre part, l’apparition de nouveaux rapports intensifie l’environnement sémiotique et augmente son potentiel d’engendrer de nouvelles significations (cf. Lotman 2000).

Le flagrant délit se déroule en deux temps: i) le temps du programme de base interrompu, la jonction avec l’objet convoité étant compromise; ii) le temps du déchiffrement pour restituer l’intégralité du programme de base. Le premier temps est fulgurant. Le tempo est d’une irruption, en termes de Cl. Zilberberg (2013), « subite autant que subie ». La situation est régie par le survenir, modalité que l’auteur (Zilberberg 2013) décrit ainsi: « Il arrête le temps et peut-être même l’inverse en ce sens que le sujet s’emploie à reconstituer le temps de l’actualisation, le temps des préparations et des calculs que le survenir a justement anéanti; le temps s’arrête parce que le sujet s’efforce de restaurer a posteriori cet “avant-temps” qui lui fait gravement défaut ». Le deuxième temps du flagrant délit est consacré à cette opération de restauration s’appuyant sur les modalités véridictoires.

Il s’agit d’une aspectualité composite; pour la première phase: aspect inchoatif et progressif mis à mal, irréversible, inaccompli, alors que le prédicat est télique, puisque ce qui oriente le procès, c’est la jonction avec l’objet convoité. Quant à la seconde phase: aspect progressif par intervalles et réitérations successives, télique, jusqu’au verdict qui annonce la sanction et la réparation. La seconde phase est une sorte d’anaphore de la première, dont l’objectif est de construire un simulacre intégral du programme de base interrompu.

Il s’opère, au cours du flagrant délit, un changement brusque au niveau des rôles thématiques des actants: des protagonistes ordinaires de leur vie quotidienne (des usagers, par exemple, du métro) se découvrent tout d’un coup « malfrat » et « victime ». Le rapport d’opposition entre les deux actants principaux s’exprime par une symétrie centrale via plusieurs catégories: l’un est l’auteur, actant actif, l’autre victime, actant passif, la perte pour le second est un acquis pour le premier, ce qui est fait à l’insu de celui-ci, est accompli sciemment par celui-la, l’un est innocent et victime, l’autre nuisible et malfrat (Figure 2). Ou, encore plus distinctement, à un niveau d’abstraction et d’idéalité supérieur: l’injustice accomplie doit être réparée par la justice rendue.

Figure 2: 
Homologation des catégories opposant le prime-actant et le second-actant du flagrant délit.
Figure 2:

Homologation des catégories opposant le prime-actant et le second-actant du flagrant délit.

On bascule d’un circuit de signification tangible et concrète – vouloir-conjoindre un objet – à un circuit de signification purement idéelle où entrent en jeu des notions comme: victime, innocence, in-justice, notions fondatrices de la sémiosphère occidentale, où elles délimitent une zone centrale, dans laquelle elles sont valorisées positivement, des zones marginales où elles sont honnies.[13] Le processus de déchiffrement – la seconde phase du flagrant délit – a pour objectif, avec l’établissement de l’intégralité du programme de base, de lever l’atteinte portée au code par une ré-approbation symbolique de celui-ci qui se réalise, en revanche, dans la réparation et la sanction concrètes, signifiant finalement « la justice a été rendue ». C’est à l’étape de l’élaboration de la simulation du référent externe que les divers modes de sémiotisation se manifestent explicitement et que nous pouvons les étudier.

4 Le déchiffrement: les modes de sémiotisation

L’attrait du processus de déchiffrement date des temps anciens et se présente, selon R. Barthes (1964 [1962]), comme « une émanation, image contemporaine d’Œdipe » déchiffrant l’énigme du Sphinx. Ou bien, telle une nécessité intérieure, arrêter la chaîne des pourquoi, « faire cesser le terrible pourquoi des choses » (Barthes 1964 [1962]: 198). D’autres théoriciens soutiennent que déchiffrer un fait divers, en élaborer une version parmi d’autres, revient à prendre part à la vie collective et à concourir à la résolution de ses problèmes (Cerquiglini 2022: 897). Les origines du processus du déchiffrement remontent, selon les anthropologues, à environ deux millions d’années lorsque, dans la chasse à courre ancestrale, nos ancêtres se montraient capables de « construire des hypothèses à partir de maigres signaux visuels et sonores » (Stépanoff 2021: 236). Développée dans la chasse à courre ancestrale, la compétence de pouvoir-aller au-delà du concrètement visible se serait alors transformée en une caractéristique décisive de ce « prédateur empathique » (Stépanoff 2021: 237) qu’est l’être humain.

Pour reprendre la comparaison avec le fait divers, le charme de celui-ci tient en grande partie, comme le remarque R. Barthes (1964 [1962]), aux liens de causalité très lâches, sinon complètement dégradés: petites causes produisent grands effets, l’inexplicable triomphe, le hasard fait croiser des chaînes causales qui, normalement, ne se croisent jamais, on attend un effet mais c’est un autre qui apparaît. Le fait divers se présente comme une contestation de l’intelligibilité requise en société. Alors que le flagrant délit révèle l’inacceptable – le proscrit par le code – et la nécessité de ré-accréditer ce code. L’interprétation est autorisée, cependant, la clarté des liens de causalité est nécessaire. Toutefois, nous allons voir, les modifications au niveau du code, l’élargissement et l’intensification de son espace sémiotique, s’effectuent par le biais de l’assouplissement des liens de causalité, par la mise en place de nouveaux modes de sémiotisation qui autorisent l’écart, voire le mensonge, et même la rupture dans la pratique canonique.

4.1 Le schéma tensif

Dans un procès judiciaire, y compris ses préparatifs, l’intérêt est concentré sur l’instance de l’énonciation et ses coordonnées spatio-temporelles, son avatar étant impliqué dans l’acte. La phase de déchiffrement est marquée par une attention particulière accordée aux déictiques. Il s’y opère la suppression de la distance entre le discours-énoncé et l’instance de son émission, ce qui produit une forte simulation linguistique du référent externe (Greimas et Courtés 1993 [1979]: 87). Le souci de la construction du référent externe – de son simulacre en fait qu’on appelle aussi « vérité » – est l’une des dimensions, la valence de l’intensité, du schéma tensif sur lequel sont disposés les divers modes de sémiotisation. La valence de l’étendue prend en compte la muabilité,[14] une certaine variation, néanmoins admise. Ces deux valences ayant été déterminées, les valeurs que nous retenons représentent les termes de corrélation, imprégnés de tensions entre des tendances évolutives (Figure 3).

Figure 3: 
Schéma tensif des modes de sémiotisation du code juridique.
Figure 3:

Schéma tensif des modes de sémiotisation du code juridique.

D’autre part, les circulations de la signification entre les modules composant la forme d’existence – entre le Soi-corps propre et la sémiosphère, passant par les interactions intersubjectives et les institutions du vivre-ensemble – s’enchaînent selon les valeurs de la catégorie symbolisation/désymbolisation. Dans le domaine du Droit, comme le précise P. Moor (2006: 99): « … le processus repose sur l’assomption de l’individuel/concret dans les dimensions du général/abstrait ». Pierluigi Basso Fossali (2024: 39) évoque la catégorie délégation/symbolisation pour parler de cette même tendance du basculement du sens d’ancrage sensible vers abstraction, et inversement.

Nous recourons finalement à l’opposition tangible/idéel, confortés par le fait que la valeur de justice se laisse appréhender selon deux plans du contenu divers: comme idéelle, valeur d’absolu, et comme rétribution (ou punition), valeur tangible, voire matérielle. Cette double nature rappelle d’une certaine façon les images ambiguës de la Gestalt dont la reconfiguration perceptive s’accompagne d’une redistribution de relations et de rôles. Le problème de la double orientation de la valeur est abordé par Henri Bergson, relatant le moment où, le 4 août 1914, dépliant un numéro du Matin, il lut « en gros caractères ‘L’Allemagne déclare la guerre à la France’ ».

[J]’eus – écrit-il – la sensation soudaine d’une invisible présence que tout le passé aurait préparée et annoncée, à la manière d’une ombre précédant le corps qui la projette … j’éprouvais … un sentiment d’admiration pour la facilité avec laquelle s’était effectué le passage de l’abstrait au concret: qui aurait cru qu’une éventualité aussi formidable pût faire son entrée dans le réel avec aussi peu d’embarras ? Cette impression de simplicité dominait tout. (Bergson 1932: 85–86)

La double orientation de la valeur lui permet de devenir, à n’importe quel moment, la « valeur de la valeur », tributaire du « sentiment de valeur » (Parret 1988: 78), se transcendant d’elle-même; elle lui permet également le mouvement (sinon le sort) inverse, regagner sa tangibilité matérielle de valeur de premier ordre.[15]

Quatre positions classiques sur le schéma tensif sont à noter: i) le mode de sémiotisation qui réunit le maximum de conformité au référent externe et le minimum de la déviance: mode de tangible; ii) celui qui représente le minimum de conformité et le minimum d’étendue: mode de probable; iii) le mode du maximum d’intensité et d’étendue où entrent en jeu les valeurs transcendantales de la sémiosphère: mode d’idéel; iv) le mode qui intègre les cas déviants, obscurs, irraisonnables: mode abstrus.[16] Ce dernier mode se situe sur les frontières du système, qu’il remet en cause tout en l’élargissant. Il apparaît pour nous comme la corrélation du minimum d’intensité par rapport à la simulation du référent externe et du maximum d’étendue. En effet, la question de l’élaboration du simulacre du référent externe ne se pose pas, dans ce mode de sémiotisation, car le référent externe est vide de sens, il représente notamment le non-sens, car il ne donne aucune réponse quant à la motivation et au passage à l’acte, celui-ci étant complètement incompréhensible. Le mode abstrus soulève la question des limites – de l’humain, en l’occurrence – et de ce qui se trouve au-delà des limites, la question de la vérité et de sa pertinence alors que l’événement est inintelligible, la question du jugement, alors que l’acte délictueux est déconnecté. Bref, ce mode de sémiotisation relève du problème de comment intégrer l’inintégrable, l’imprévisible, le déconcertant.

Nous proposons d’ajouter, sur ce schéma tensif, un cinquième mode de sémiotisation, scindant la valeur d’idéel en deux sous-catégories, idéel absolu et idéel judiciaire. Ce dernier mode est prédéterminé par le code qui sert d’isotopie à la forme d’existence examinée (cf. supra 4.1.2), il est subordonné au mode d’idéalité absolue. Cette scission, bien que différemment disposée sur le schéma tensif, est la même que celle, envisagée par Cl. Zilberberg (2007) sous les termes de « valeurs d’absolu » et « valeurs d’univers ». Les bifurcations notables qui se manifestent, dans cet espace, attestent de l’élargissement et de l’intensification des processus de signification internes au code, nous y reviendrons.

D’autre part, des rapports internes entre les modes de sémiotisation se tissent selon les catégories limité/illimité et causalité/arbitraire. Le mode de tangible, qui vise la simulation du référent externe, ainsi que le mode de probable, pour la même raison mais moins intense, sont limités, le modes d’idéel et le mode abstrus, sont mouvants et illimités. Dans cette perspective, le mode judiciaire doit être envisagé comme illimité, ce qui correspond bien à son potentiel dynamique. Les modes de tangible et d’idéel intègrent le principe de causalité, priorisant dans leur déploiement les liens de cause à effet. Alors que les modes de probable et le mode abstrus sont régis par le principe d’arbitraire, recourant à des circuits de signification déconnectés, à des liens incohérents ou non limpides.

Nous procédons ci-après à l’analyse de ces modes et des exemples repris des films documentaires. Chaque exemple se constitue en un cas de figure de la forme d’existence, celle-ci étant problématisée en tant que régime sémiotique.

4.1.1 Le mode de tangible

Le mode de tangible vise à établir le maximum de conformité dans la simulation du référent externe, jusqu’à ce que celle-ci puisse être considérée comme « réelle » ou « vraie ». Or, l’objectif de ce mode de sémiotisation est de reconstituer les programmes d’usage dans leur succession, passage de l’un à l’autre et liens de causalité. On pourrait l’appeler également mode de sémiotisation policier.

Une séquence du film Faits divers (Depardon 1983) représente un très bon exemple de ce type de sémiotisation, tout en soulevant la question de ses défauts. Elle se déroule autour de la déposition d’une plainte de viol dans un commissariat parisien. L’officier de police judiciaire (l’OPJ) reçoit d’abord l’homme, visé par la plainte, puis la fille venue déposer plainte. Il est confronté à deux récits divergents. Un bon nombre d’éléments sont les mêmes mais, selon leur place dans le récit, ils se chargent de significations différentes. Si dans le récit de l’homme, la fille va prendre une douche en arrivant chez lui – c’est-à-dire, elle le séduit en se déshabillant –, dans le récit de la fille, elle prend une douche après le rapport non consenti, parce qu’il y a du sang, indice de viol, etc. Conformément au mode de sémiotisation du tangible, l’officier de police judiciaire essaye de rétablir les programmes d’usage:

L’OPJ: C’est vous qui l’avez déshabillée ou c’est elle qui s’est déshabillée toute seule ?

L’Homme: Oh non, c’est elle.

L’OPJ: Pour prendre sa douche ? Ensuite, vous la voyez à poil, vous l’avez sautée ?

L’Homme: Ben on a fait l’amour, oui…

Il n’est pas difficile de remarquer que l’OPJ accepte aisément la version de l’homme, il lui dit, avant d’avoir entendu la fille: « … je vous avoue que jusqu’ici, moi, j’ai pas grand-chose à vous reprocher. Sauf ne pas savoir très bien qui c’est, mais ça … ». Il se montre compréhensif sur ce point et raccourcit encore la distance par un brusque tutoiement: « Tu te mets à côté, c’est pas la peine d’y aller dehors … », l’homme est installé dans la pièce attenante.

Alors que avec la fille, l’officier de police judiciaire est distrait, cherche quelque chose autour de lui, fait du bruit, lui donne des conseils avec une prétendue bienveillance austère, lui répète que si elle dépose une plainte abusive, la plainte se retournera contre elle. Il ne l’accuse pas de mentir, mais lui suggère, adoptant l’expression « votre histoire de viol », que ce qu’elle raconte est exagéré, sinon inventé, un « coup » monté. Et peu après, vient la question: « Vous êtes sûre de votre histoire ? ». Et encore une fois: « Non, mais vous êtes sûre de votre histoire ? … ». L’expression « votre histoire » revient à plusieurs reprises. L’OPJ communique à la plaignante que sa plainte peut envoyer l’homme en prison pour cinq ans, considérant évidemment que c’est beaucoup, et surtout, disproportionné par rapport à ce que l’homme a fait. La pression qu’il exerce sur la fille est palpable, comme on peut le remarquer dans l’extrait ci-après des dialogues que nous avons relevés.

L’OPJ: Votre histoire de viol, si c’est comme ça … comme [que] vous la présentez … il faut être sûre de votre coup … Parce que si c’est simplement pour embêter le garçon, ce qui peut être très vraisemblablement, je n’en sais strictement rien, méfiez-vous du risque que vous prenez … Vous êtes sûre de votre histoire ? – la fille parvient à dire « oui », lui insiste – Non, mais vous êtes sûre de votre histoire ? … J’ai pas les conclusions du médecin …

La Fille: Je me suis lavée deux fois, comme je saignais beaucoup, il m’a fait ça deux fois …

L’OPJ: D’accord.

La Fille: Je me suis lavée …

L’OPJ: Mais vous êtes sûre de votre histoire ? …

La Fille: Je suis sûre de mon histoire.

L’OPJ: … parce que j’ai aucun moyen de vérifier, je vous préviens … Si jamais il arrive à prouver le contraire, c’est vous qui allez vous retrouver en cabane pour une plainte abusive … Alors, réfléchissez … Je veux bien vous croire … mais j’ai aucun moyen de vérifier si vous me racontez des histoires … C’est très possible … que vous ayez raison, et c’est très possible aussi que lui ait raison également … Parce qu’il me raconte pas du tout ça comme ça …

Le mode de sémiotisation de l’OPJ – le déchiffreur dans cette séquence – se caractérise par, entre autres, une difficulté de prendre du recul de la version de l’homme et de réarranger les détails afin de voir comment le réarrangement profite à chacun des protagonistes. Il lui manque, grosso modo, la compétence d’improvisation et d’abstraction. Il ne prend pas en compte les tensions entre le plan de l’énoncé et le plan de l’énonciation. Très focalisé sur les détails, il ne saisit pas la détresse de la fille, n’y voyant que de la vengeance. D’autre part, à l’époque des faits – début des années 1980 – domine l’opinion que le corps féminin est toujours disponible. Le code juridique en vigueur reconnaît le délit de viol comme tel, mais encore, faut-il identifier le viol dans toutes ses nuances.

Visionnée 34 ans plus tard, cette séquence suscite l’indignation et démontre par là que, concernant les rapports au sein du couple, le droit de la femme au non-consentement a bien évolué dans la sémiosphère occidentale.[17] Ci-après le texte de l’extrait du film, un monologue de l’OPJ, qui a circulé sur les réseaux sociaux, scandalisant le public:

Il faut que vous compreniez une chose, Mademoiselle, c’est que le viol en France c’est un crime. Que ce garçon risque de se retrouver en taule cinq ans, minimum, parce qu’il a fait l’amour avec vous et que vous n’étiez pas d’accord de faire l’amour avec lui. Vous avez déjà passé une nuit ensemble la semaine dernière. Enfin là, lui il voulait remettre ça au jus et vous n’étiez pas d’accord. A partir de là, il téléphone à sa petite copine. Ça continue de mettre de l’huile sur le feu. Vous l’envoyez en taule pour cinq ans. Ça fait quand même beaucoup, vous ne trouvez pas ?

Le parti pris de l’OPJ semble aujourd’hui démesuré. Cependant, la séquence du film commence par un commentaire qu’il adresse au réalisateur: « C’est vaseux, hein… C’est vaseux parce que c’est pas … c’est un viol qui n’en est pas un, tout en en étant un … ». Il paraît que l’OPJ se rend compte de la complexité de la situation mais ne se décide pas à trancher et recourt à la solution la moins coûteuse en termes d’effort, de temps et de conséquence pour lui-même. Il choisit la pression. Prétendant prévenir, il menace, insistant sur les conséquences d’une plainte abusive. L’abus, évoqué abusivement, s’incruste définitivement dans cette forme d’existence d’intersubjectivité bancale. La fille est la victime la plus évidente, ne parvenant pas à faire reconnaître sa souffrance. Confrontée à l’abus de pouvoir, elle craque définitivement, abandonne l’idée de porter plainte et quitte le commissariat.

D’autre part, l’homme et l’OPJ sont aussi, d’une certaine façon, des victimes, des abuseurs abusés par leur propre incompétence relationnelle. Enfin, bien que le mode de sémiotisation du tangible soit adopté par les trois protagonistes – l’auteur de l’acte, la victime, le déchiffreur – la reconstitution de ce qui s’est passé échoue et la blessure de la victime ne fait que susciter une leçon moralisatrice, aucune empathie en réponse.

Le grand mérite de la séquence est d’avoir scellé une forme d’existence subtile et vulnérable, dont les effets de sens traversent les décennies. Nous pouvons ainsi remarquer l’évolution radicale quant à l’appréhension du non-consentement de la femme, s’exprimant aujourd’hui dans un débat intense sur son inscription dans la loi, mesure déjà adoptée dans certains pays européens, notamment en Suède.[18] La question qui se pose est jusqu’où le juge pourrait-il entrer dans une relation intersubjective, examiner le contexte et les faits afin de « reconstituer le chemin du (non) consentement et jeter un pont entre le monde de l’intime et celui de la preuve » (Salas 2021: 560) ? Saurait-il s’exempter de l’abus de pouvoir ou d’une sorte de flemme relationnelle, à la différence de l’OPJ de la séquence ? « Mauvais usage », l’abus se caractérise par l’asymétrie, l’absence de réciprocité et de partage, il souffre d’un excès et touche à l’injustice (Le Petit Robert). En fin de compte, l’asymétrie dans les rapports étant imposée par l’actant-auteur de l’abus, celui-ci révèle que son auteur refuse de reconnaître à autrui le même droit d’exister qu’il s’attribue à lui-même.

D’autre part, on observe déjà un déplacement de la frontière séparant intérieur et extérieur, intimité et extimité. Le code gagne de l’espace en terrain d’intimité. Respectivement, l’intimité perd en termes d’intériorité, d’indétermination et de sensualité. Dans cette perspective, comme le formule le magistrat Denis Salas, « le consentement serait un sentiment intime dont la reconnaissance dépend de l’état de la sensibilité collective » (2021: 561). Ainsi l’intime ne s’estompe-t-il pas progressivement dans le mouvement même où on essaie de le protéger ? Et si ce n’est plus l’intime en substance, qu’est-ce qu’on protège en effet ? Des questionnements de ce type retardaient la prise en charge du (non) consentement par le code.

4.1.2 Le mode d’idéel

Le mode de sémiotisation qui mise sur les valeurs transcendantales de la sémiosphère se présente comme la corrélation d’intensité et d’étendue maximales sur le schéma tensif. Nous l’appellerons le mode de l’idéel. Il est le contraire du mode du tangible. Nous envisageons deux niveaux d’idéalité essentiels et une bifurcation du second niveau, apparue récemment.

Le premier niveau, c’est celui de l’idéalité maximale (ou absolue) qui mobilise les catégories fondatrices de la sémiosphère impliquée. En ce qui concerne la sémiosphère occidentale, ce sont les catégories: Mal/Bien, Justice/Injustice, Fidélité/Infidélité, Corruption/Innocence, etc. Ce mode de sémiotisation est propre autant à la victime, qui sent subir l’Injustice, visée sans raison, à son insu, étant innocente, qu’à l’auteur de l’acte qui se justifie souvent par le Mal qu’il a vécu. Il tente littéralement de s’extraire de l’acte concret du délit, évoquant la misère de sa vie, sa volonté d’aider quelqu’un d’autre, etc. Un effort est nécessaire pour se détacher de l’acte commis, concret et tangible.

Le sentiment de justice et d’injustice est apparu probablement avec l’expérimentation du Mal et du Bien, peu après la constitution de la capacité de prendre conscience de la souffrance vécue, qui va de concert, cela s’entend, avec la quête de comment l’éviter. Ces processus participent de la création de la sémiosphère elle-même. Comme le remarque Youri Lotman:

… là où s’implique la conscience, augmente brusquement le degré de liberté et, par conséquent, l’imprévisibilité. Là où nous avons le bien, nous aurons forcément le danger du mal, car le bien implique un choix … L’Adam biblique, en recevant le choix, a aussi reçu la possibilité du péché, la possibilité du crime … Là où il y a la liberté du choix – là il y a aussi une responsabilité. (Lotman 1990: 434)[19]

Bonne ou mauvaise, vraie ou fausse, la responsabilité touche à la question du Mal et du Bien, en activant des circuits de signification explorant les relations intersubjectives. Ainsi, un des protagonistes de Délits flagrants (Depardon 1994), ayant giflé une dame à la sortie du métro, justifie son acte, devant le substitut du procureur, par son impulsion de « défendre son collègue ». Nous apprenons alors que la dame s’était mis à crier: « Au voleur ! Au voleur ! », réalisant que son sac était ouvert. Prétendant défendre son ami, le locuteur laisse entendre que c’est lui la victime, puisque, selon le code en vigueur, c’est la victime qui nécessite d’être défendue et non pas l’assaillant. Alors que l’élucidation de la situation révèle le contraire, et par là, que les termes de victime et d’assaillant ont été distribués de façon incorrecte. Nous comprenons finalement que la gifle vient pour faire taire la victime et que c’est elle que notre locuteur a pour une seconde fois agressée, défendant l’assaillant. Sa position se révèle être en décalage flagrant avec le code de la sémiosphère.

Il reste à découvrir si ce n’est pas une conséquence de la méconnaissance des valeurs transcendantales de la sémiosphère, et pour quelle raison, ou bien le locuteur chicane, et dans ce cas, il est en train de fausser, pour une seconde fois, l’interaction intersubjective dans laquelle il se trouve. La chicane lui permet d’abdiquer de tout engagement vis-à-vis d’autrui et de soi-même, vis-à-vis également du langage, sans se soucier de sa fonction référentielle. L’usage d’expressions impropres au contexte de la situation est un procédé somme toute courant, pratiqué parfois avec subtilité. Ce type d’expressions, que l’on pourrait déterminer comme étant en rupture de sens,[20] fait preuve de l’autonomie de la langue par rapport au référent, de la diversité des points de vue et de la nécessité d’une activité de traduction lors de la réception afin de saisir la signification avec toutes ses contradictions. Enfin, la parole fait preuve d’autrui, elle nous indique la distance qui nous rapproche de lui ou nous en sépare. Dans le cas de notre locuteur, la disproportion entre la gravité de l’acte et la légèreté de la parole, exprime en fait la manière dont il s’assume. Le défaut d’assomption n’est pas, à lui seul, un délit à punir. Cependant, vu que la sémiotique de la forme d’existence se pose comme objectif d’étudier les significations qui se lient et se délient par rapport à une situation, leur décalage et les causes de ce décalage au sein d’un environnement sémiotique, régi par les processus de symbolisation et désymbolisation, on pourrait retrouver un certain lien de convergence entre le processus de symbolisation caduc et l’acte délictueux.

Le second niveau d’idéalité, que nous appelons mode de sémiotisation judiciaire, se déploie selon les lois juridiques de la sémiosphère. Elles sont dans une dépendance des valeurs transcendantales de cette même sémiosphère, tout en restreignant leur périmètre d’action et matérialisant sa portée. Toutefois, l’application de la loi privilégie les processus de symbolisation. Comme le souligne D. Salas (2001: 7), jusqu’aux années 2000, le droit pénal ne s’intéresse pas à la victime mais surtout au fait que la loi est violée: « La transgression n’est absolument pas dirigée contre une quelconque victime. La transgression est orientée contre la loi ».

La procédure pénale se place expressément à distance de la victime et à l’écart de l’émotion dont les victimes sont porteuses. Le côté symbolique du procès judiciaire commence dès l’architecture somptueuse du bâtiment qui l’abrite, appelé Palais: « Des colonnes et des codes, voilà notre justice pour deux siècles ! », écrit Robert Badinter.[21] La symbolique se déploie dans les rituels qui ponctuent le moindre mouvement et toute prise de parole, les costumes, les places non interchangeables des participants, officiers de justice, soumis, quant à eux, à des serments qui les séparent de la personne privée, le juge censé être un tiers impartial et désintéressé qui répond à l’égard uniquement de la loi. Toute cette symbolisation contribue à opérer un écart radical de l’événement, du vécu, des réactions affectives, pour s’en préserver en l’occurrence, et permet de reconstituer le récit dans des conditions différentes (cf. Salas 2001: 7). Les protagonistes qui y prennent part perdent, à leur tour, leurs noms propres, ils sont « le juge », « le procureur », « le témoin », « l’accusé », « l’expert », etc. (cf. Moor 2006: 99). Cet écart, par sur-symbolisation, convient bien à la construction du simulacre du référent externe et à l’édification de la loi juridique. Celle-ci a besoin du vide esthésique pour s’ériger dans sa grandeur, le moindre signe d’affect ruinant sa somptueuse impartialité.

Le film Law and Order (1969) de F. Wiseman se termine par une scène qui montre la barrière infranchissable que la loi dresse devant la personne, mue par ses désirs et passions, aspirant elle aussi à la justice, mais dont l’idée s’avère trop personnelle. Un père vient voir son enfant. Son ex-compagne ayant appelé la police, l’homme est contraint, en lieu et place de la visite souhaitée, à s’engager dans un échange avec les policiers. À toute requête formulée par lui, ils lui rappellent les démarches à suivre afin de se conformer à la loi et de rester dans le respect du vivre-ensemble. S’ensuit l’échange suivant:

Le Policier: Si vous voulez votre enfant, engagez un avocat et entamez une procédure de divorce pour obtenir la garde de votre enfant.

L’Homme: Oui, mais …

Le Policier: Si vous revenez ici, on vous bouclera pour violation de l’ordre public.

L’Homme: Ok …

Le Policier: C’est une affaire de droit. Le mieux c’est de voir votre avocat. Faites-lui un procès si vous voulez.

L’Homme: Écoutez, hier … (en direction de son ex-compagne) … quoi ? …

Le Policier: Parlez si vous voulez mais c’est elle qui garde l’enfant. Vous ne pouvez rien y faire.

L’Homme: Je veux dire quelque chose. Elle regardait par la fenêtre. Ce type que je ne connais pas était avec elle …

Le Policier: Racontez-nous tout ça, si vous le voulez, mais ça ne changera rien ; on ne peut rien y faire.

L’Homme (se retient à peine): … Que faisait-il avec ma femme ?

Le Policier: Je ne sais pas. C’est pas mon problème … Même si elle était avec 5 000 personnes, c’est son droit, on n’y peut rien.

L’Homme: Je …

Le Policier: Votre colère ne changera rien.

L’Homme: Je ne suis pas en colère. Je m’inquiète pour mon enfant.

Le Policier: Ok, voyez votre avocat et entamez un divorce. Voilà la situation. Rentrez chacun chez vous, sinon on vous boucle. (La femme s’en va avec l’enfant, le policier continue vers l’homme) Il faut prendre un avocat. Il faut faire un procès pour la garde de cet enfant. Nous, on n’y peut rien.

L’Homme: Je veux mon enfant. (pause) … Mais je n’ai pas d’argent. Elle refuse que je voie l’enfant.

Le Policier: Alors, on en restera là …

L’ Homme: On a vécu ici ensemble.

Le Policier: Ça ne change rien.

L’Homme: Pourquoi ?

Le Policier: Prenez un avocat et faites un procès. C’est le seul moyen de tout régler. C’est peut-être idiot, mais on n’y peut rien …

Nous voyons, dans cette séquence, une forme d’existence en souffrance suite à la rupture, chamboulée par la nécessité de respecter les règles d’un vivre-ensemble qui ne satisfait pas ses envies et aspirations. On pourrait même y entrevoir une sorte d’injustice compte tenu qu’il est refusé à un père d’être avec son enfant autant qu’il le voudrait. La réciprocité de la relation évaporée, les affects de l’homme sont devenus tout d’un coup importuns. La faille s’est opérée sans qu’il comprenne pourquoi – ou sans qu’il accepte de comprendre – et l’analyse pourrait même suggérer que la radicalité du changement blesse son amour-propre, empêche la ré-assomption et le pousse vers la violence. Les policiers interviennent telle une incarnation dépassionnée de devoir-respecter la bonne distance afin d’assurer la sécurité pour tous. On voit clairement que la loi porte atteinte aux affects, aux désirs du cœur, à l’idée d’une justice réconfortante. Puisque la justice qui verse dans le malheur semble s’écarter de l’idée même de justice, de l’harmonie qui lui est propre, devient in-justice.

Pourtant, si le Décalogue avait été gravé « du doigt de Dieu » sur des tables en pierre, c’était pour signifier que les « dix paroles » (δεκάλογος, en grec, Ex 34:28, Dt 4:13) sont autant ineffaçables qu’immuables. Telle est encore la loi, indifférente à l’aperception personnelle, insensible à la souffrance particulière dès que celle-ci n’est pas conforme au vivre-ensemble et à l’ordre public. Dans certains cas, le code peut même autoriser des procédures sans que la victime ait donné son accord. « … [N]ous nous battons parfois contre la victime elle-même », reconnaît une procureure (Christine de Curraize),[22] visant les victimes de violence intrafamiliale qui ne déposent pas plainte; la loi est censée apporter une réponse pénale à une personne au comportement dangereux, peu importe si la personne mise en danger en est consciente ou non.

Y. Lotman (2000: 141–146) attire l’attention sur la divergence dans la constitution des axes sémantiques d’un environnement à l’autre, et plus spécialement, quant à la notion de justice qui participe de différentes séries sémantiques, dans les environnements sémiotiques russe et occidental, de manière à ce que son sens et les connotations qui s’en dégagent, diffèrent sensiblement. « La Miséricorde est le contraire de la Loi … Dans l’antithèse russe /miséricorde versus justice/, fondée sur la structure binaire, l’idée s’oppose aux règles latines, imprégnées de l’esprit de la loi: Fiat justia – pereat mundus[23] et Dura lex, sed lex[24] », « proclamant [dans le cas russe[25]] la prééminence de la conscience sur la loi, du repentir sur le jugement ».[26]

Il est à noter qu’aujourd’hui, dans la sémiosphère occidentale, le modèle d’une justice austère, obsédée par la loi et indifférente à la victime, est remis en cause, d’après D. Salas (2001: 7), par l’irruption d’acteurs tout à fait nouveaux, à savoir … les victimes. Il se produit une bifurcation au sein du second niveau du mode de sémiotisation de l’idéel, le mode judiciaire, suite aux mouvements internes dans la notion de justice où le terme de pardon s’immisce; cette modification s’effectue toutefois pour une raison autre que celle qui prime dans l’environnement sémiotique orthodoxe. Selon D. Salas (2001: 8), la société tourne le dos à une justice pénale qu’elle estime incapable de défendre et de réparer le mal radical qui a été commis. S’impose l’idée que la souffrance de la victime est toujours en excès par rapport à la réparation que la justice peut lui offrir. C’est évident dans le cas du mal radical, mais c’est ainsi même dans le cas du flagrant délit, car ce que subit la victime dépasse les réparations l’indemnisant.

Or, la nécessité d’une réaction contre les infractions réitérées de la loi se conçoit en deux tendances divergentes: l’une qui réclame la mise en place de peines plus lourdes, voire rétablir la peine de mort,[27] l’autre qui veut s’extraire catégoriquement du Mal, quitter le court-circuit de la violence. La sortie de la justice pénale se présente comme un renoncement à la recherche d’une réparation juste, car « juste » signifie, dans cette perspective, proportionnée à l’infraction, équivalent au crime commis. Ainsi, après l’abolition de la peine de mort, après la création de dispositifs de réinsertion du criminel dans la société, apparaît la justice restaurative (ou réparatrice).[28] Cette nouvelle forme de justice se veut être une alternative à la justice pénale, tout en restant pour l’instant son complément; son objectif est de rompre avec la violence. Elle consiste à faire dialoguer, avec l’aide de médiateurs neutres et formés, les actants impliqués dans un délit ou dans un crime. Ainsi, elle vise la reconstruction de la victime, la responsabilisation de l’auteur de l’acte délictueux et sa réintégration dans la société. Elle introduit la notion de pardon dans la justice occidentale.[29] Certains magistrats, à l’instar de D. Salas (2024), reconnaissent que « [l]e pardon est une issue aux impasses de l’équivalence pénale ».

Le film Une autre justice (2016), consacré à la percée de la justice restaurative aux États-Unis, présente plusieurs cas judiciaires au cours desquels l’idée de pardon réoriente la recherche de punition vers une recherche de conversion. Le pardon a pour propriété de transformer la situation tragique d’irrévocable en révocable, non par effacer ce qui s’est passé ni par diminuer la souffrance, mais par procurer un rapport possible à l’événement intolérable, se transformant en deuil, en responsabilité, en confiance à la vie, en foi dans le renouveau. S’engager sur ce chemin ne signifie en aucun cas oublier l’acte commis ni s’y résigner, comme le précisent les protagonistes du film, et notamment Renee Napier, qui a perdu sa fille dans un accident de voitures causé par un conducteur en état d’ivresse:

La première chose à comprendre, c’est que pardonner, ce n’est pas leur dire que ce qu’ils vous ont fait est acceptable … Ça ne l’est pas. Le pardon n’efface pas ce qu’ils ont fait et ne veut pas dire qu’ils ne doivent pas être punis. Ce n’est pas ça, le pardon. Mais si vous ne pardonnez pas, c’est comme boire du poison et attendre que l’autre personne meure.

L’altérité entre la justice pénale et la justice restaurative est dans l’approche, l’orientation et la finalité. L’une est soumise à l’idée d’équivalence – la sanction doit être équivalente à l’infraction –, l’autre est dépourvue de toute idée d’équipollence. Si le but de l’une est de « rendre justice » – via l’institution judiciaire, elle vise l’auteur de l’acte –, la recherche de l’autre est de sortir du court-circuit de la violence, elle est orientée d’abord vers le for intérieur. L’une est concrète et encadrée, s’épuisant en elle-même; l’autre est décloisonnant, elle se prolonge souvent dans des actions au sein de la communauté, imprégnant d’une vitalité intense l’environnement sémiotique, comme on le voit dans le film.

Plusieurs années après le crime, Agnes Furey, une autre protagoniste du film, entre en contact épistolaire avec l’assassin de sa fille et de son petit-fils. Depuis lors, son existence s’est entièrement consacrée à l’objectif de « briser la spirale de la violence », essayant de libérer l’assassin de l’enchaînement des actes délictueux. Elle avoue vouloir prolonger l’engagement de sa fille, qui a tenté d’aider sans réussir son petit-ami à sortir de la drogue. Par contre, l’effort, la conviction et l’insistance avec lesquels Agnes s’est adonnée à cette mission sont tels qu’ils font fondre en larmes l’assassin. Ce qui bouleverse, c’est la forme d’existence, avec sa fragilité et sa détermination en même temps, éphémère mais dont la portée est immuable. À la fin du tournage du film, Agnes n’a toujours pas obtenu l’autorisation de rencontrer le criminel, son combat dépassant, et de loin, l’espace sémiotique actuel du code.

La justice restaurative met la victime au cœur du procès et c’est par ce procédé qu’elle bifurque de la justice pénale. Celle-ci est une affaire d’État, l’acte délictueux appréhendé tel un trouble à la société qu’il faut réparer. C’est pourquoi ce n’est pas la victime, représentée par son avocat, qui demande la peine mais le procureur, représentant du ministère public.[30] Alors que la justice restaurative propose aux acteurs, impliqués dans le délit, un projet se construisant sur la nécessité d’une conversion radicale. La catégorie punir/acquitter est bouleversée par un nouveau terme, celui de revigorer. L’impulsion de construire prend le dessus sur celle de détruire. Parmi les prisonniers qu’on voit dans le film Une autre justice, certains déclarent avoir radicalement changé de personnalité. Il se pose évidemment la question d’évaluer le risque de récidive. Le procureur Jack Campbell n’arrive pas à cacher son émotion dès qu’il pense à Connor dont la condamnation, pour avoir assassiné sa fiancée, a été réduite de 20 ans grâce à la justice restaurative: « Ce qu’il fera quand il sortira de prison sera mon cadeau ou … ma faute vis-à-vis de la communauté ». Pourtant, appliquer la peine de mort à une personne, auteur de crime mais qui a entièrement changé, jusqu’à devenir une autre personne, revient à commettre un nouveau crime.[31]

Or, via la bifurcation que représente le mode de sémiotisation subsumant le concept de la justice restaurative (réparatrice), le code parvient à pallier l’écart entre tangible et idéel, entre expérience vécue et dispositions législatives, prenant en compte les affects et les traumatismes, la mémoire et le deuil, la responsabilité et l’élan empathique, afin de les engager dans une volonté de conversion. Une valeur étrangère au code juridique y est introduite, importée d’un autre système, à savoir, le pardon, appartenant au système religieux judéo-chrétien.[32] D’un côté, il y a le système juridique, excessivement symbolique au nom de l’impartialité – rappelons-nous Thémis, le bandeau sur les yeux, le point de vue propre anéanti. De l’autre côté, le pardon, qui est un parti pris, une partialité assumée, un profond engagement personnel. On pardonne l’impardonnable, comme le souligne Cl. Zilberberg (2007), il ne s’agit pas juste de « tourner la page ».

Le pardon est un beau geste, au sens sémiotique, avec le risque qui lui incombe. Le beau geste – J. Fontanille (2015: 73–78) le définit à la suite de A. J. Greimas – dénonce la morale sociale et échangiste (le don pour le contre-don), en affirmant une éthique individuelle. Il est en rupture avec une pratique canonique ou stéréotypée et remet en question l’énonciation collective qu’implique cette pratique. C’est pourquoi, de nature fortement instable, il se manifeste sur l’axe de la contradiction dans le carré sémiotique (Fontanille 2015: 71–73). Il est à noter que l’exemple le plus pertinent de beau geste, envisagé par A. J. Greimas, c’est l’attitude du Christ dans la scène avec la femme adultère. Les exégètes (Oniszczuk 2017: 8) y voient notamment la création d’une nouvelle loi, s’ajoutant à celles du Décalogue, la loi de l’amour inconditionnel et du pardon, que le Christ écrit avec son doigt – ne rappelle-t-il pas, par ce geste, la manière dont Dieu écrivit les Dix commandements sur la pierre: « Mais Jésus s’était baissé et, du doigt, il écrivait sur la terre. » (Jn 8:6), alors que les pharisiens attendent son jugement. Le beau geste est une rupture qui réoriente la pratique canonique, il la réinvente, lui donnant un élan nouveau impactant les relations intersubjectives.

En ce qui nous concerne, l’irruption du pardon dans le code juridique réinvente le système, il y apporte le parti pris propre à la miséricorde. La matérialisation du plan de l’expression apparaît comme une négation de la symbolisation juridique, alors que les propriétés esthésiques manifestent la particularité de la forme d’existence. Nous comprenons alors pourquoi Fontanille remarque: « Le beau geste provoque l’émergence d’une forme de vie mais sans pouvoir assumer le déploiement; il est très précisément la manifestation d’une déhiscence (la négation) … Le beau geste ne peut se prévaloir ni de la récurrence, ni de la permanence, ni même de la congruence … » (2015: 77–78). Le pardon devient possible justement comme forme d’existence, et non pas comme forme de vie, car il relève de l’impossibilité de récurrence, il ne peut être qu’exceptionnel, pénible à assumer et en rupture, instable, comme l’est la forme d’existence.[33]

Le mode de sémiotisation de la justice restaurative (réparatrice) se manifeste, toute proportion gardée, dans les diverses formes de médiation, où le médiateur entre les actants devient l’intermédiaire entre deux formes d’existence, celle d’une infraction (ou délit) et celle du renouveau.

4.1.3 Le mode abstrus

Le recours à l’expert psychiatre pour évaluer la responsabilité de l’auteur de l’acte au moment des faits est un autre procédé visant à humaniser la procédure judiciaire ainsi que le rapport au délinquant, et finalement, nuancer notre rapport au Mal. En tout cas, c’est ainsi que Gauchet et Swain (1980) envisagent le recours à l’expert psychiatre, telle une tentative de trouver un reste de raison dans le fou criminel, puisqu’une réserve de raison subsiste toujours et par là, la possibilité de réintégration. Les deux auteurs s’écartent ainsi de la position prise par Michel Foucault (1981) qui voit dans l’expertise psychiatrique, et encore plus dans l’obligation de soin – toujours très discutée dans les milieux spécialisés (cf. Hirschelmann et al. 2013; Lemoine 2001; Melman 2001; Périn 2001) –, la virulence de la justice pénale, dont une des fonctions est la correction de la personnalité.

Foucault (1981) reprend la question, adressée aux juges par un avocat s’opposant à la peine de mort: « Peut-on condamner à mort quelqu’un qu’on ne connaît pas ? ». Pour les crimes commis sans raison et sans motif, sans intérêt ni préliminaires – l’auteur en donne plusieurs exemples, aussi atroces qu’incompréhensibles (Foucault 1981: 404–405) –, la médecine fonctionne, comme il le dit, telle une hygiène publique. Elle vient au secours de la justice pour lui donner une raison de condamner: lorsque l’individu est évalué comme dangereux, la raison de condamner, c’est le risque de récidive. Déterminer la dangerosité que représente une personne pour elle-même et pour la société devient le dernier rempart pour expliquer les crimes inexplicables. On va jusqu’à inventer, au XIX° siècle, le diagnostic de la monomanie homicide, « [u]ne folie qui n’est rien d’autre que crime », récapitule Foucault (1981: 408). Les médecins se transforment en des « spécialistes du motif » quitte à trouver un rapport quelconque, « un lien psychologiquement intelligible entre l’acte et l’auteur » (Foucault 1981: 412). Sinon « comment punir si le crime est sans raison ? », insiste Foucault sur la question qui dérange (1981: 412). Une énorme machine bien huilée et conséquente – la machine judiciaire –, face à l’acte anodin qui dépasse l’imagination; la disproportion est déconcertante.

Avec les pour et les contre, se dessine un troisième mode de sémiotisation, que nous appelons abstrus pour désigner la prise en compte par le code de l’incompréhensible, de l’abscons, du ténébreux. C’est le mode de sémiotisation qui intègre, dans le système, les cas inintelligibles, enfreignant les principes mêmes du code. Ce mode, comme tout élément qui agit sur les frontières d’un système, stimule l’intensification des processus de signification et rend l’environnement sémiotique plus nuancé. Avec ce mode de sémiotisation, nous revenons d’une certaine façon vers l’inclassable, trait caractéristique, on se rappelle, du fait divers. L’objectif est pourtant différent; ce n’est pas pour adhérer au sensationnel, au contraire, c’est pour tenter de voir le « tout-autre », l’expression est à D. Salas (2001: 6). L’intérêt que suscite le tout-autre peut être teinté d’une sorte de curiosité – voir le monstre de foire –, mais cet intérêt devient constructif s’il assume d’interroger ses propres limites et les passages entre elles.

Dans le film Délits flagrants (Depardon 1994), la séquence avec une dame, probablement cleptomane, est traversée d’un bout à l’autre par deux modes de sémiotisation en confrontation. La substitut du procureur exemplifie, par ses réactions, remarques et réflexions, le code juridique, avec sa logique indubitable. Et chaque fois qu’elle émet un argument concret et raisonnable, l’autre protagoniste, appelons-la la Dame, ouvre, par sa réponse, une brèche dans le circuit de la réflexion causale dont la solidité s’effrite. Ces deux modes de sémiotisation progressent conjointement et cependant séparés, dans deux orbites limitrophes. Ci-dessous un premier extrait de l’entretien dans lequel la Dame tente de suggérer d’où vient l’incommodité pour elle.

La Dame: Disons que je suis … euh … sortie du magasin … euh … avec des vêtements … euh … que je ne pouvais pas prouver les ayant payés, n’ayant pas des tickets de caisse …

La Substitut du procureur: Ah ben, notamment, d’un tailleur vous avez arraché l’anti-vol …

La Dame: Oui, oui, bien sûr … Mais je veux dire, on aurait pu, on aurait pu me demander un ticket de caisse … chose qu’on ne m’a pas demandée … on va tout de suite …

La Substitut du procureur: Non, on vous a surveillée dans le magasin …

La Dame: Oui …

La Substitut du procureur: On vous avait vu faire.

La Dame: Voilà … On m’a tout de suite … euh … euh … si vous voulez, on m’a pas demandé … comment ça s’était passé, on m’a pas demandé est-ce que … Est-ce qu’il y a des choses que vous voudriez payer, par exemple ? Il y a peut-être des choses que j’aurais bien aimé payer … Non, on m’a rien demandé, on m’a tout pris … euh … en globalité, et on m’a dit bon, c’est, c’est comme ça …

La Substitut du procureur: Attendez, vous avez bien été prise en dehors du magasin ?

La Dame: Oui … oui …

La Substitut du procureur: Avec des vêtements que vous n’avez pas payés ?

La Dame: Bien sûr, Madame, oui … oui …

(brève pause, changement de tonalité)

La Substitut du procureur: C’était pour porter, c’était pour offrir … ? C’était pour revendre ? …

La Dame: Nooon, c’est pour porter … C’est, c’est pour … euh … usage personnel … C’est pour porter, c’est …

Nous voyons, dans cet extrait, que le mode de sémiotisation du tangible, adopté par la substitut du procureur, exclut la flexibilité, il est raide et austère. Dès que la substitut du procureur s’en rend bien compte, elle change de tonalité. Parallèlement, la Dame tente de suggérer que l’approche pourrait être différente, plus souple et moins humiliante. Il serait incorrect, à notre avis, d’interpréter ses paroles comme une tentative de camoufler le vol, celui-ci est bien avéré, aucune raison de jouer les dupes. Si la Dame reproche aux agents de sécurité du magasin de ne pas lui avoir demandé un ticket de caisse, ou « comment ça s’était passé ? », ou « est-ce qu’il y avait des choses qu’elle voudrait payer ? », etc., c’est parce que l’arrêtant sans aucun doute, sans la moindre question, on lui dénie effectivement la possibilité, même hypothétique, d’être autre que voleuse. La représentation de soi-même, qu’elle s’était certainement construite (le moi idéal ou la face positive), est anéantie, à son insu et derrière son dos, ayant été surveillée dans le magasin. L’atteinte est portée à sa condition d’être humain qui par définition est plurielle. Et, dans le même mouvement, on lui refuse le recours à la parole, lui ouvrant un dernier droit, celui d’être entendue. Le deuxième extrait que nous proposons ci-dessous démontre clairement cette requête d’être entendu que tout être humain porte en soi.

La Substitut du procureur: J’ai l’impression que si vous allez sortir d’ici, vous allez sortir en disant ‘‘J’ai pas d’autre solution de toute façon, et je re-volerai’’… Je vais vous (inaudible) charger ça et vous faire passer au tribunal … et en prison …

La Dame: Non, Madame, mais … (pause) On ne regarde pas le problème jusqu’au bout. On regarde ce qui intéresse (geste indiquant « sur la surface ») …

La Substitut du procureur: Ce qui m’intéresse, moi, c’est la délinquance et d’éviter qu’on recommence la délinquance …

La Dame: La délinquance, elle est liée à quelque chose …

La Substitut du procureur: Oui, mais (geste de la main « que faire ») …

La Dame: La délinquance, c’est pas pour s’amuser … c’est pas, ou il faudrait vraiment être, être un esprit particulièrement …

La Substitut du procureur (lit les objets volés): … le tailleur Louis Féraud, les chaussures machins, les bijoux, tout ça c’est quand même … Vous pouvez éviter de voler. Vous voulez retourner en prison ?

La Dame: Non, Madame. Mais peut-être qu’il faut que je quitte la France alors ?

La Substitut du procureur: Ben, à l’extérieur, vous n’aurez pas plus d’argent…

La Dame (pensive): Je ne sais pas …

La Substitut du procureur: Et vous voulez aller voler à l’étranger ?

La Dame: Non, c’est qu’en France, j’ai pas de solution …

La Substitut du procureur: Bon, allez parler avec votre psychiatre des … des … difficultés à vivre … Mais … vous êtes prise en charge complètement, financièrement. C’est certainement pas le luxe, il s’en faut de beaucoup, mais c’est pas non plus … la possibilité de manger et de se loger … Vous n’êtes pas dans ce cas-là …

La Dame: L’assistante sociale, c’est pareil ça. Ça n’a pas l’air de l’atteindre …

Nous voyons, dans la séquence, qu’on signifie clairement à cette forme d’existence qu’elle est indésirable au sein de la société. L’exclamation de la substitut du procureur: « Vous pouvez éviter de voler » rend perceptible le fait que la contrariété qu’éprouve la Dame n’est pas pleinement mesurée. L’acte délictueux, tel qu’il se manifeste ici, apparaît délétère autant pour les autres que pour son auteur, car il le sépare et le rejette des autres. Ce rejet est un facteur de désubjectivation qui s’ajoute à la sensation de ne pas avoir été entendue, une fois de plus, comme l’énonce la Dame: « L’assistante sociale, c’est pareil ça. Ça n’a pas l’air de l’atteindre … ». Il paraît qu’à la requête d’être entendue, elle n’a jamais eu de retour. D’où sa riposte, indiquant à ses interlocutrices que le refus d’être à l’écoute les démunit de leur humanité, les rapprochant de la chose, de « ça ». Le rejet des autres devient souffrance, s’accumulant dans la conviction de ne pas avoir de choix. L’« écho de l’autre » « permet malgré tout de construire une situation d’affect partagé », selon les psychologues (Ciccone et Ferrant 2023: 256). Il n’est pas exclu, dans cette perspective, que l’acte itératif et compulsif soit une requête d’assomption, la difficulté de s’assumer s’exprimant avec fracas dans la débâcle finale, dans l’exposition publique, venant clôturer le trajet dans le magasin. Cela confirmerait la pérennité de l’acte, car, « Tout sujet a besoin de se sentir actif dans ce qui lui arrive … Tout sujet a besoin d’être l’auteur et l’acteur de sa vie » (Ciccone et Ferrant 2023: 256). L’excessif, dans la manifestation, a l’avantage d’apporter du soulagement, outre le plaisir, car il a trait au théâtre et au jeu, il investit dans l’esthésie, dans la sensation « ce n’est qu’un jeu ».

D’autre part, il y a certainement une difficulté à faire face à l’anormal, avec les sentiments d’impuissance et de haine qu’il suscite chez ceux qui sont censés apporter soin, et qui se retrouvent confrontés à leurs propres faiblesses, l’impuissance se transformant en culpabilité, la haine en honte (cf. Ciccone et Ferrant 2023: 253–267). C’est pourquoi il serait nécessaire non seulement d’évaluer la différence du tout-autre et son obscurité, mais également de reconsidérer notre propre aptitude à pouvoir entendre le tout-autre. Nous avons pour autant l’intuition que ni le jugement ni la prison résolvent le problème, tant qu’il y a une nature qui nous échappe, avec ses impulsions inédites et obscures. L’infraction au code ne peut être pleinement saisie tant que le tiers-actant (y compris le déchiffreur) ignore le vrai rapport qui lie l’auteur à son acte.

4.1.4 Le mode de probable

Le mode de sémiotisation de probable est la corrélation du minimum de conformité et du minimum d’étendue sur le schéma tensif. Il ne prétend pas reconstruire le référent externe mais substitue à l’idée d’une vérité certaine celle d’une vérité secrète. Il pourrait même relever du mensonge, comme nous allons le voir. Ce mode est exemplifié par un cas qui s’est manifesté comme étant sans précédent dans Délits flagrants; il est repris par la suite dans le film éponyme Muriel Leferle (Depardon 1996), la version longue relatant l’histoire de cette jeune femme. La grande révélation que ce cas apporte, c’est que le mensonge n’est pas catégoriquement proscrit au tribunal, même au contraire, il est admis dans la défense.[34]

L’histoire est la suivante. Muriel Leferle est prise en flagrant délit derrière le volant d’une voiture volée. Ce n’est pas la première fois qu’elle commet cette infraction, elle risque donc d’être envoyée en prison. Elle raconte à l’avocat commis d’office ce qui s’est passé, insistant sur le fait qu’elle ne possède pas de permis de conduire, et donc, elle ne sait pas conduire. Elle aurait essayé de brancher les fils de neiman non pas pour mettre la voiture en marche, mais pour ouvrir la portière arrière et retirer son sac resté sur le siège. Charmé quelque peu par la jeune femme, l’avocat se laisse prendre pour un bon moment par sa version rocambolesque, peu après, il saisit le mensonge et lui répond légèrement agacé:

L’Avocat: Vous savez, vous avez le droit de mentir, personne ne vous interdit de mentir …

Muriel Leferle: … oui, je sais mais cela …

L’Avocat: … ça n’a aucune espèce d’importance, il n’y a pas de critère moral ici, vous êtes dans le box, vous pouvez faire ce que vous voulez pour préparer votre cote de défense …

Par la suite, inspiré par le non-sens du récit de Muriel Leferle, et par l’impertinence de son propre affect, nous semble-t-il, il compose le texte de sa défense.

L’Avocat: Vous allez lui dire … ‘‘Madame le Juge, ou Madame le Président, j’ai fait quelque chose de complètement idiot, comme ma vie en ce moment – je ne sais pas où je vais, Mme le Président’’ … Vous dites simplement qui vous êtes et ce que vous avez fait, pourquoi vous l’avez fait, pourquoi il n’y a pas de pourquoi … Vous dites: ‘‘je n’avais pas de permis de conduire, mais de toute façon, je ne pouvais pas conduire …’’ … D’accord ? … Et vous commencez comme ça: ‘‘Je m’appelle Muriel, je suis prostituée, je suis toxico, Madame, je suis séropositive. J’ai pas le permis de conduire, j’étais en train plus ou moins de voler une voiture, mais de toute façon, pourquoi ? … À quoi bon … J’ai pas le permis de conduire …’’

Muriel Leferle: Mais non, la voiture je ne la volais pas puisque …

L’Avocat: ‘‘J’étais en train d’essayer de démarrer une voiture, mais je ne pouvais pas la voler …’’

Muriel Leferle: … oui …

L’Avocat: ‘‘… puisque de toute façon, je ne peux pas la conduire la voiture,’’ d’accord ?

Les paroles de l’avocat ont troublé les milieux judiciaires de l’époque. Dans un entretien, réalisé des années plus tard, R. Depardon (2006) dit avoir été « presque en état d’arrestation, on voulait prendre la pellicule », supprimer ce passage et censurer le film. L’avocat commis d’office, Pierre Olivier Sur, est convoqué par le bâtonnier de Paris pour donner des explications. Finalement, il réussit à défendre ses propos sur le droit au mensonge, et à sauver le film, argumentant que, à la différence des prévenus aux États Unis dont la jurisprudence les oblige à témoigner sous serment de dire la vérité, en France, ils ne prêtent pas serment et ont donc le droit de dire autre chose que la vérité.

Dans notre code de procédures pénales, on a tous les droits, y compris le mensonge, pour se défendre … L’avocat n’est pas là pour faire mentir. L’avocat est là pour permettre à la personne qui a commis un passage à l’acte de présenter les choses au mieux de son intérêt, c’est-à-dire au mieux de la réalité qui est la sienne et qui n’est pas forcément celle de la justice. La vérité, c’est des strates, des strates de réalité et notre métier consiste à en choisir une des strates pour la cristalliser et aller vers le meilleur résultat possible au mieux des intérêts de tout le monde … (Sur 2006)

L’avocat est un autre déchiffreur, face au procureur, dont l’approche est complètement différente. Si la tâche de celui-ci est de suivre la règle du code pour restreindre les possibles, les ramenant à l’admissible, le travail de celui-la consiste à envisager une réalité qui est loin d’être bien ficelée par des liens de cause à effet limpides. Or, il relève de la dextérité de l’avocat d’intercepter les manières de fluer de la signification, ses revirements arbitraires, ses contingences. On remarque, dans les paroles ci-dessus citées, que la notion de vérité englobe celle de réalité, qui est, comme chacun le sait, équivoque, protéiforme, enchevêtrée et délicate. Alors que la vérité apparaît transcendante et riche en possibilités. Différentes strates de réalité participent de la vérité. Atteindre la vérité, passe par bien scruter et démêler les strates de réalité afin de trouver où exactement se situe la personne concernée.

Dans la séquence du film, Pierre Olivier Sur décèle très vite le désordre qui règne dans la forme d’existence de sa cliente. Par la suite, il appréhende son acte dans la lumière de la logique qui se dégage de ses autres actes et attitudes. Vu la confusion généralisée, ce ne serait pas par le biais d’un raisonnement causal qu’on parviendrait à éclairer son comportement. L’avocat choisit alors la rupture causale comme procédé pour faire sentir « pourquoi il n’y a pas de pourquoi », comme il le dit lui-même., et comme il l’a senti à l’instant. La charge esthésique l’a sans doute aidé à mieux saisir la situation.

Le mode de sémiotisation de probable abandonne les liens de causalité stricte et recourt au raisonnement par proximité, par contiguïté, par rupture. Il admet même le recours au mensonge, car il vise une vérité autre, moins certaine et cependant tangible, la vérité secrète d’une existence singulière. Ainsi, c’est au prix d’un mensonge qu’une vérité parvient à se manifester. Le mode de sémiotisation utilisé pourrait également être appelé mode de la décharge. Il convient à des formes d’existence embrouillées, embarquées par des courants troubles et dont l’environnement se révèle toxique, néfaste, mortifère. Or, des formes d’existence qui ne trouvent pas de force pour fuir ni pour s’opposer à leur environnement. Telle apparaît la forme d’existence de Muriel Leferle dans la séquence du film; face à elle, nous nous retrouvons face au gâchis d’une vie, accompli systématiquement, sans pour autant qu’elle s’y soit spécialement investie.

4.2 Bref récapitulatif

Problématisant la forme d’existence en tant que régime sémiotique, nous avons abordé plus en détail l’acte délictueux, telle une espèce de forme d’existence, se manifestant dans des exemples, repris de plusieurs films documentaires. Se sont spécifiées ainsi les formes d’existence de l’abus, de la chicane, de la rupture affective, du pardon, de l’exclusion, de la destruction. Les paramètres essentiels qui se dégagent et dont les propriétés varient d’un exemple à l’autre, constituent les modules d’analyse de la structure représentée sur la Figure 1. Nous les soulignons encore une fois dans le tableau récapitulatif ci-dessous (Tableau 1).

Tableau 1:

Récapitulatif des formes d’existence abordées dans l’étude.

Forme d’existence (FE) Rapports corps/langage Rapports symplectiques soi/autrui Rapports du vivre-ensemble: l’empathie Rapport au code
FE de l’abus incohésion, échec énonciatif adhérence à soi, insouciance de l’autre; asymétrie domination de l’autre – croire vivre-ensemble le code-menace
FE de la chicane incohérence, expressions en rupture de sens déni de l’altérité l’autre-ennemi scotomisation du code
FE de la rupture affective délitement, défaut de ré-assomption l’autre opaque l’autre comme traître; agressivité (désempathie) le code injuste
FE du pardon fusion le souci de l’autre élan d’empathie (pitié) dépassement du code
FE de l’exclusion le corps indicible, crise d’assomption requête d’être entendu,

asymétrie
l’autre inatteignable, défaut d’empathie le code obstacle ou spectacle
FE de la destruction anarchique, confus irresponsabilité vie en marge désobéissance diffuse

Précisons rapidement les axiologies.

  1. Les rapports entre corps et langage, circonscrits par la catégorie confiance/méfiance, se manifestent, en outre, comme étant en harmonie (cohérents, conséquents, homogènes) ou inversement, en déséquilibre, dans l’impossible ré-assomption, comme c’est le cas pour la plupart des formes d’existences de notre étude.

  2. Les rapports symplectiques avec Autrui, dont la nature est nettement perceptible dans la notion de responsabilité, s’organisent autour de l’axe mêmeté/ipséité, et peuvent s’étendre entre l’adhérence à soi, par le déni de l’altérité et jusqu’à avoir peur de l’autre dans un sens, et dans l’autre, par le souci de l’autre, le pardon et jusqu’au sacrifice. Ces rapports sont également impactés par la distribution de valeurs sur l’axe réciprocité/irréciprocité.

  3. Les rapports dans le vivre-ensemble se structurent soit verticalement soit horizontalement, les charges modales de vouloir-vivre-ensemble étant difficilement compatibles avec celles de devoir-vivre-ensemble. La notion d’empathie occupe une place centrale, dans ce module, se différenciant nettement des notions limitrophes, telles la curiosité, l’intérêt, la compassion, la pitié, etc. Dans presque tous les cas ici analysés, excepté la forme d’existence du pardon, l’empathie est caduque puisque le sentiment de dignité humaine est abîmé.

  4. Les rapports de symbolisation et de désymbolisation se manifestent amplement, dans le cas de la forme d’existence, concernant le code qui se constitue en isotopie. L’adhérence au code ou sa transgression pour des motifs divers détermine la dynamique dans laquelle se trouve la forme d’existence.

Les formes d’existence, qui résident au sein des exemples des films que nous avons abordés, nous parviennent d’il y a plusieurs décennies. Rétrospectivement, nous pouvons constater les élargissements et les assouplissements dans le code à la suite de certaines propositions entre-temps intégrées, comme par exemple la question de la vérité et du mensonge dans la défense du prévenu (cf. partie 4.1.4), pour d’autres, quasiment institutionnalisées (le mode abstrus, cf. partie 4.1.3), pour d’autres encore, en débat intense (le (non) consentement dans la définition du viol, cf. partie 4.1.1), pour d’autres enfin, en expérimentation (cf. supra, le pardon et la justice restaurative). Nous pouvons soutenir alors que les codes, comme les coutumes et les attentes, évoluent dans le temps à la manière de la langue naturelle, alors que les formes d’existence portent les indices de cette évolution. De surcroît, c’est par elles que les transformations sont réclamées, refusées, abandonnées ou acquises, par elles que l’évolution se manifeste. Les formes d’existence constituent la subtilité du langage que l’environnement sémiotique est apte à engendrer, amplifier et développer ou inhiber au cours du temps. Elles sont alors dans une relation, quant au code, homologue à celle qui existe entre langue et parole (Saussure 1916; Figure 4).

Figure 4: 
Rapport d’homologation.
Figure 4:

Rapport d’homologation.

La forme d’existence est enfin une sorte de parole par laquelle s’expriment les contradictions, les tensions, les accumulations et les interdits, les charges de mémoire et les refoulements, les manques, les aspirations et les compromis qui tissent l’environnement sémiotique.

5 Conclusions

Cette étude, consacrée à la forme d’existence, tel un régime sémiotique, différent de ceux de style de vie et de forme de vie, a essayé de délimiter les modes de sémiotisation qui constituent les variations et la manière de fluer de la signification dans l’espace sémiotique du code juridique. Nous avons constaté que le code, par rapport auquel la forme d’existence prend corps, joue le rôle d’isotopie. Parallèlement, le code se développe sur la base du déploiement et de l’interaction de plusieurs modes de sémiotisation qui œuvrent dans l’élargissement/rétrécissement et dans l’intensification/relâchement de son espace. L’environnement sémiotique, quant à lui, est propice ou hostile, flexible ou inflexible par rapport au fonctionnement et à l’apparition de nouvelles formes d’existence.

Concernant les modes de sémiotisation qui subsument les variations et la manière de fluer de la signification dans les formes d’existence, nous avons constaté le désavantage de recourir à un parmi ces modes de sémiotisation sans prendre en compte les autres. Or, ils sont complémentaires et le passage de l’un à l’autre consiste en un changement d’échelle. Appliquer les différences d’échelle s’avère nécessaire pour sortir de la partialité et pour pouvoir aborder toute la diversité de la signification dans une forme d’existence. Ainsi, le mode d’idéel absolu et le mode judiciaire mettent l’accent sur le processus de symbolisation, au détriment du concrètement vécu. Ils agissent donc prioritairement à une échelle macro,[35] d’un point de vue qui subsume l’ensemble, selon les valeurs transcendantales de la sémiosphère. Cependant, de nouvelles formes d’application du code apparaissent, suite à des bifurcations dans le mode de sémiotisation, à l’instar de la justice restaurative (réparatrice), qui a émergé récemment. Elle permet de pallier l’excès d’idéalité de nature spéculative et de réintégrer les protagonistes de l’acte délictueux dans un projet construit sur la volonté de conversion. Ce mode tente d’équilibrer les tendances opposées entre tangibilité et idéalité.

En revanche, le mode de tangible s’applique efficacement à l’échelle moyenne (méso), car il doit établir et comparer entre plusieurs versions des faits. Si, par exemple, il passe à une autre échelle et se focalise sur une seule version – nous avons vu l’exemple de l’officier de police judiciaire dans le cas de la plainte de viol (cf. partie 4.1.1) –, le mode s’abîme et ne fonctionne pas correctement. Le mode abstrus et le mode de probable s’appliquent prioritairement à l’échelle individuelle (locale). Le mode de probable prend en compte la translation possible de l’individuel vers le collectif, son objectif étant de rendre accessible le cas particulier malgré sa singularité. Alors que le mode abstrus, destiné à des cas exclusifs, se déploie sur les limites de l’espace sémiotique du code, son objectif principal étant l’élargissement de cet espace. Cependant, tenir compte de l’exclusivité fait partie des valeurs de certaines sémiosphères, n’étant pas du tout envisageable dans d’autres, ce qui signifie qu’il y a, d’emblée, une complémentarité ente le mode abstrus et le mode d’idéel absolu. En dernier ressort, nous avons constaté que les nouveaux modes de sémiotisation qui apparaissent, par séparation ou par bifurcation, augmentent l’intensité de l’espace sémiotique du code ou permettent le franchissement de ses limites et donc, élargissent son espace.

Nous avons vu que les modes de sémiotisation délimités prennent en compte autant le paradigme de valeurs traitées sur un plan linéaire de causes et d’effets que des exemples en rupture, exclusifs et contingents. Étant expansifs et toujours en cours de constitution, ces modes de sémiotisation intègrent l’imprévu, l’inconnu, l’inintelligible. Ceux dont l’objectif est de rester conformes au référent externe sont stables et limités. Cependant, les modes de sémiotisation qui usent de l’arbitraire, ne sont pas moins pertinents pour reconsidérer et appréhender les actes et les faits ainsi que les existences particulières avec leur vérité interne ou absence de vérité. Les modes usant de l’arbitraire sont moins balisés et demandent plus d’efforts pour être mis en place ou acceptés. Le danger par contre, pour les modes bien balisés, qui véhiculent des argumentations claires et transparentes, est de ne pas saisir la particularité du cas et de passer à côté de la vérité qu’ils cherchent.

Et enfin, nous pouvons dire que plus un code est travaillé, discuté, remis en cause, plus il se développe par la mise en place de modes de sémiotisation de plus en plus diversifiés, plus encore l’environnement sémiotique s’enrichit et devient intense, plus la singularité des formes d’existence prolifère et est respectée. La forme d’existence en tant que régime sémiotique, nous l’avons remarqué, est une manifestation de la subtilité et de l’intensité de l’environnement sémiotique. Les formes d’existence nous permettent de voir les différences entre divers environnements sémiotiques ainsi que d’évaluer les évolutions ou les régressions apparues dans un même environnement sémiotique au cours du temps. Elles sont les vecteurs de cette évolution, de sa décadence, des aspirations anéanties, disparues ou reprises et portées à l’aboutissement. Étant éphémères, c’est elles qui dressent la ligne pérenne du code.


Corresponding author: Ralitza Bonéva, Université Toulouse Jean Jaurès, Toulouse, France, E-mail:

Références

Barthes, Roland. 1964 [1962]. Structure du fait divers. In Essais critiques, 194–204. Paris: Seuil.Search in Google Scholar

Basso Fossali, Pierluigi. 2024. De la générativité à la « circuitation »: instanciations et modèles diagrammatiques d’une écologie sémiotique. Actes Sémiotiques 130. 35–67.10.25965/as.8223Search in Google Scholar

Bergson, Henri. 1932. Les deux sources de la morale et de la religion. Paris: Félix Alcan.Search in Google Scholar

Bertrand, Denis & Jacques Fontanille (dirs.). 2006. Régimes sémiotiques de la temporalité: La flèche brisée du temps. Paris: Presse universitaire de France.10.3917/puf.bert.2006.01.0397Search in Google Scholar

Bonéva, Ralitza. 2024. La transition au sein de l’être humain: France (2021) de Bruno Dumont. Actes sémiotiques, Actes du Congrès de l’Association Française de Sémiotique. 1–17.10.25965/as.8441Search in Google Scholar

Carel, Marion. 2017. Signification et argumentation. Signo 42(73). 2–20.10.17058/signo.v42i73.8579Search in Google Scholar

Cerquiglini, Blanche. 2022. Le fait divers ou la monstruosité ordinaire. Critique 11(906). 884–897.10.3917/criti.906.0884Search in Google Scholar

Ciccone, Albert & Alain Ferrant. 2023. Honte, culpabilité et traumatisme. Paris: Dunod.Search in Google Scholar

Depardon, Raymond. 1983. Faits divers [DVD]. Paris: Arte Vidéo.Search in Google Scholar

Depardon, Raymond. 1994. Délits flagrants [DVD]. Paris: Arte Vidéo.Search in Google Scholar

Depardon, Raymond. 1996. Muriel Leferle [DVD]. Paris: Arte Vidéo.Search in Google Scholar

Depardon, Raymond. 2006. Entretien, bonus Délits flagrants [DVD]. Paris: Arte Vidéo.Search in Google Scholar

Dubied, Annik. 2004. Les dits et les scènes du fait divers. Genève: Droz.10.3917/droz.dubie.2004.01Search in Google Scholar

Ducrot, Oswald. 2016. Présentation de la théorie des blocs sémantiques. Verbum 38(1–2). 53–65. https://doi.org/10.3406/verbu.2016.1044.Search in Google Scholar

Fontanille, Jacques. 2011. Corps et sens. Paris: Presse universitaire de France.10.3917/puf.jacq.2011.01Search in Google Scholar

Fontanille, Jacques. 2015. Formes de vie. Liège: Presses Universitaires de Liège.10.4000/books.pulg.2207Search in Google Scholar

Fontanille, Jacques. 2023. Esquisse d’une sémiotique du changement. Acta Semiotica 3(6). 3–66.10.23925/2763-700X.2023n6.64710Search in Google Scholar

Fontanille, Jacques & Claude Zilberberg. 1998. Tension et signification. Liège: Mardaga.Search in Google Scholar

Foucault, Michel. 1981. L’évolution de la notion d’« individu dangereux » dans la psychiatrie légale. Déviance et Société 5(4). 403–422. https://doi.org/10.3406/ds.1981.1098.Search in Google Scholar

Frank, Herz. 1987. Le jugement suprême. Matériels cinématographiques [film]. Riga: Studia Riga.Search in Google Scholar

Gauchet, Marcel & Gladys Swain. 1980. La pratique de l’esprit humain ; l’institution asilaire et la révolution démocratique. Paris: Gallimard.Search in Google Scholar

Goffman, Erving. 1973 [1959]. La mise en scène de la vie quotidienne. Paris: Minuit.Search in Google Scholar

Greimas, Algirdas Julien. 1987. De l’Imperfection. Périgueux: Fanlac.Search in Google Scholar

Greimas, Algirdas Julien & Joseph Courtés. 1993 [1979]. Sémiotique dictionnaire résonné de la théorie du langage. Paris: Hachette.Search in Google Scholar

Greimas, Algirdas Julien & Jacques Fontanille. 1993. Le beau geste. Recherches Sémiotiques / Semiotic Inquiry 13(1–2). 21–36.Search in Google Scholar

Henry-Biabaud, Chloé & Isabelle Vayron. 2016. Une autre justice [film]. Vannes: Talweg.Search in Google Scholar

Hirschelmann, Astrid, Sonia Harrati, Anne Winter & Aude Ventéjoux. 2013. Défis et dénis autour de l’évaluation de la dangerosité. Les Cahiers de la Justice 1(1). 85–100.10.3917/cdlj.1301.0085Search in Google Scholar

Hymes, Dell H. 1984. Vers la compétence de communication. Paris: Hatier-Crédif.Search in Google Scholar

Kerbrat-Orecchioni, Catherine. 2005. Le discours en interaction. Paris: Armand Colin.Search in Google Scholar

Kerbrat-Orecchioni, Catherine. 2010. L’impolitesse en interaction. Lexis Special 2. 35–60.10.4000/lexis.796Search in Google Scholar

Landowski, Éric. 1997. Présences de l’autre. Paris: Presse universitaire de France.Search in Google Scholar

Landowski, Éric. 2024. Le modèle interactionnel, version 2024. Acta Semiotica 4(7). 105–134. https://doi.org/10.23925/2763-700x.2024n7.67360.Search in Google Scholar

Lemoine, Yves. 2001. L’obsession du soin. Journal français de psychiatrie 2(13). 50. https://doi.org/10.3917/jfp.013.0050.Search in Google Scholar

Leutrat, Jean-Louis. 2004. Un western avec des poules Forty Guns de Samuel Fuller. Vertigo 3. 51–54. https://doi.org/10.3917/ver.hs02.0051.Search in Google Scholar

Lotman, Youri. 1990. О природе искусства [Sur la nature de l’art]. In Избранные статьи и выступления. 1992–1993, 432–438. Москва: Гнозис.Search in Google Scholar

Lotman, Youri. 2000. Семиосфера Культура и взрыв, Внутри мыслящих миров, Статьи, Исследования, Заметки [La sémiosphère]. Санкт-Петербург: Искусство-СПБ.Search in Google Scholar

Melman, Charles. 2001. Interrogations actuelles sur les limites de la responsabilité. Journal Français de Psychiatrie 2(13). 51–53.10.3917/jfp.013.0051Search in Google Scholar

Michel, Johann. 2013. Ricoeur et ses contemporains. Bourdieu, Derrida, Deleuze, Foucault, Castoriadis. Paris: Presse Universitaire de France.Search in Google Scholar

Moor, Pierre. 2006. La loi et les lois. Revue Européenne des Sciences Sociales 44(133). 89–102. https://doi.org/10.4000/ress.464.Search in Google Scholar

Oniszczuk, Jacek. 2017. Composition et message de la péricope de la femme adultère (Jn 7, 53–8, 11). Exercices de rhétorique 8. 1–13.10.4000/rhetorique.488Search in Google Scholar

Ost, François. 1999. Le temps du droit. Paris: Odile Jacob.Search in Google Scholar

Parret, Herman. 1988. Au-delà de la rhétorique du juridique: justifier par l’éthique, légitimer par l’esthétique. Droit et société 8. 73–84. https://doi.org/10.3406/dreso.1988.987.Search in Google Scholar

Périn, Jean. 2001. Petit dialogue sur la (dé)raison des lois. Journal français de psychiatrie 2(13). 56.10.3917/jfp.013.0056Search in Google Scholar

Rastier, François. 1991. Sémantique et recherches cognitives. Paris: Presse Universitaire de France.Search in Google Scholar

Ricœur, Paul. 1969. Le Conflit des interprétations. Essais d’herméneutique I. Paris: Seuil.Search in Google Scholar

Ricœur, Paul. 1992. L’acte de juger. Esprit 183(7). 20–25.Search in Google Scholar

Salas, Denis. 2001. Pourquoi punir. Journal Français de Psychiatrie 2(13). 6–9. https://doi.org/10.3917/jfp.013.0006.Search in Google Scholar

Salas, Denis. 2021. Introduction: la zone grise du (non) consentement. Les Cahiers de la Justice 4. 559–561.10.3917/cdlj.2104.0559Search in Google Scholar

Salas, Denis. 2024. Les 100 mots de la justice. Paris: Presse Universitaire de France.Search in Google Scholar

Saussure, Ferdinand de. 1916. Cours de linguistique générale. Lausanne: Payot.Search in Google Scholar

Stépanoff, Charles. 2021. L’animal et la mort chasses, modernité et crise du sauvage. Paris: La Découverte.Search in Google Scholar

Sur, Pierre Olivier. 2006. Entretien. Bonus Muriel Leferle [DVD]. Paris: Arte Vidéo.Search in Google Scholar

Tesnière, Lucien. 1959. Éléments de syntaxe structurale. Paris: Klincksieck.Search in Google Scholar

Wiseman, Frederick. 1969. Law and order [film]. Kansas City, KS: Osti.Search in Google Scholar

Zilberberg, Claude. 2007. Du devoir. http://claudezilberberg.org/portal/wp-content/uploads/2014/05/Du-devoir.pdf (consulté le 10 février 2025).Search in Google Scholar

Zilberberg, Claude. 2013. Glossaire. http://claudezilberberg.org/portal/?page_id=457 (consulté le 11 janvier 2025).Search in Google Scholar

Received: 2025-01-18
Accepted: 2025-08-11
Published Online: 2025-09-29

© 2025 the author(s), published by De Gruyter, Berlin/Boston

This work is licensed under the Creative Commons Attribution 4.0 International License.

Downloaded on 8.12.2025 from https://www.degruyterbrill.com/document/doi/10.1515/sem-2025-0010/html
Scroll to top button